III - Evolutions et révolutions

( 3e Partie)

 

Identité et musique

La musique, malgré ses fonctions essentiellement religieuses et récréatives à l'origine, fut classée dès la fin du siècle dernier parmi les instruments de propagande par les militants culturels. Cette vision, insérant la quête d'identité irlandaise dans un discours idéologique et mythique, semble aujourd'hui dépassée, et l'on tend à ne plus voir dans le renouveau de la musique traditionnelle que les signes avant-coureurs d'une véritable prise de conscience de la société par elle-même :
Une société qui se cherche ne peut faire des propositions cohérentes en musique (...). Une société qui remet en questions ses symboles collectifs et qui doute de ses valeurs traditionnelles ne peut vivre une harmonie marginale au sein de l'univers musical. note 54
Ce chapitre sera pour nous l'occasion d'analyser l'intégration des influences du XXe siècle aux éléments constitutifs de l'identité culturelle de tout pays.

- Identités individuelles

L'un des thèmes récurrents en cette fin de vingtième siècle concerne ce qu'il est convenu d'appeler la 'mondialisation' des échanges. Une telle globalisation existe en réalité depuis fort longtemps à de très nombreux égards, en particulier sur le plan économique, car les preuves tangibles d'échanges entre peuples existent aussi loin que remonte l'Histoire écrite des peuples d'Europe, d'Afrique ou d'Asie. En revanche, ce qui apparaît comme une véritable nouveauté concerne la mondialisation des droits, les sujets de débats et de polémiques étant dans la plupart des cas communs aux pays occidentaux, et parfois à tous les pays du monde. L'écologie fait ainsi partie de ces épineux problèmes, tout comme la gestion des ressources maritimes, les problèmes liés à l'énergie nucléaire ou, plus récemment, la gestion des droits d'auteur à l'échelle planétaire et la mise en place du réseau Internet dans un contexte d'Etats séparés par des législations fort disparates. Ce dernier exemple est de ce point de vue particulièrement éclairant sur le problème nouveau en matière de propriété artistique et intellectuelle.

Depuis le milieu du XIXe siècle, les artistes ont pris l'habitude de se considérer comme propriétaires de leurs oeuvres, et les penseurs de leurs idées. Un tel fait est sans doute incompatible avec la notion d'oeuvre 'populaire' au sens de 'émanant du peuple', ce qui est le cas d'une grande partie des mélodies irlandaises. Il est, encore aujourd'hui, notoire que certains musiciens ayant composé des mélodies connues ne touchent pas un centime de droits d'auteurs car leur nom n'est pas associé à " l'oeuvre " au sens où l'entendent les associations chargées de faire respecter le droit d'auteur.

Ces problèmes de droits d'auteur constituent donc un exemple passionnant des conflits contemporains entre l'individu et la société qui le génère, et l'histoire de leur développement est parfaitement représentative de l'évolution du droit de l'individu dans les sociétés occidentales.

C'est en Angleterre en 1709 que fut voté par la Chambre des Communes le Statute of Anne, première loi reconnaissant certains droits aux auteurs littéraires et établissant  une protection de 28 ans à partir de la date de publication, après quoi l'oeuvre rentrait dans le domaine public et devenait disponible pour chacun sans paiement dû à l'auteur. La Norvège et le Danemark, en 1741, puis l'Espagne en 1762, se préoccupèrent également très tôt de ces questions. La France suivit en 1791 et 1793, lorsque l'assemblée constituante vota un texte s'inspirant de la loi anglaise. En 1790 les Etats-Unis adoptèrent une législation fédérale couvrant les livres et les cartes, également sur le modèle anglais, qui fut étendue par la suite à la musique, aux photographies, à la peinture et aux statues. Il fallut attendre la fin du XIX siècle pour voir une première collaboration entre les différents Etats déjà dotés d'une législation, c'est la Convention de Berne (1886). Quelques articles seulement concernent la musique note 55, celle-ci n'étant prise en compte qu'à partir du début du XXe siècle. Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle en Europe, la majorité des musiciens pouvant espérer une rétribution devait compter sur une protection aristocratique, mais nous avons vu que celle-ci déclina lentement en Irlande pour s'éteindre au XVIIe siècle. Ces musiciens formèrent dès lors la catégorie des musiciens itinérants ou des maîtres à danser, circulant de maison en maison.

La plupart des organismes de gestion des droits d'auteur dans les pays occidentaux apparurent, comme la SACEM en France, au cours du XIXe siècle. Sur le territoire des U.S.A., c'est la Bibliothèque du Congrès Américain (Library of Congress) qui gère l'ensemble des droits d'auteurs des oeuvres écrites, enregistrées, filmées, etc. depuis 1870 (voir page 266).

Au XXe siècle, différentes organisations visant à collecter et à redistribuer les droits d'auteurs furent fondées par des musiciens pour des musiciens. Face à l'avènement des enregistrements, elles ne tardèrent pas à prendre en compte, outre les droits de représentations scéniques, les droits de reproductions mécaniques. En 1903 apparut en Allemagne la Gesellschaft für Musikalische Aufführungs und Mechanische Vervielfältigungsrechte (GEMA) sous la tutelle du compositeur Richard Strauss. L'équivalent anglais vit le jour en 1910 (Mechanical Copyright Licences Company Ltd ou MECOLICO) en prévision du Copyright Act de 1911. Elle devint en 1924 la Mechanical-Copyright Protection Society Limited (MCPS), et l'une de ces branches fut (et reste en partie) responsable du collectage et de la redistribution des droits d'auteur pour l'Irlande. Les droits de représentation au Royaume-Uni et en Irlande furent quant à eux couverts par la Performing Rights Society (PRS) fondée en 1914, comme le fut l'ASCAP, American Society of Composers, Authors and Publishers, aux Etats-Unis. Celle-ci fut rejointe en 1939 par BMI (Broadcast Music, Inc.) dont le but était de démocratiser l'accès aux droits d'auteur.

Il fallut attendre encore plusieurs décennies avant de voir émerger une organisation spécifiquement irlandaise chargée de la gestion des droits d'auteur. L'Irish Music Rights Organisation (IMRO) fut fondée en 1989 et tente à l'heure actuelle de convaincre les auteurs compositeurs irlandais, précédemment protégés par la PRS britannique, de la rejoindre. Mais des désaccords semblent surgir entre les représentants de l'IMRO et les tenants d'une musique traditionnelle fière d'être anonyme, comme en témoigna la discussion mouvementée, lors d'une édition récente des Crossroads Conferences annuelles, entre musiciens traditionnels et représentants de l'IMRO note 56.

En effet, la musique populaire et la musique traditionnelle n'ont fondamentalement pas de propriétaire, c'est-à-dire pas d'auteur au sens économique du terme, contrairement aux musiques pop, rock, jazz, etc. Comment en effet imaginer que dans l'esprit des musiciens traditionnels un air ou une mélodie puisse être le bien d'un seul individu note 57. Peu de gens savent, à titre d'exemple, que la célèbre mélodie intitulée " Mná na hÉireann " est, sur la base d'un poème antérieur, l'oeuvre de Seán Ó Riada note 58. Une proportion plus importante de musiciens le sait, mais ils la considèrent néanmoins comme partie intégrante du patrimoine traditionnel et la jouent sans avoir l'impression de léser quiconque.

Il est d'ailleurs ironique de constater que c'est dans le domaine de la musique populaire que les problèmes les plus épineux surgissent, et les exemples sont nombreux d'artistes étrangers à la musique traditionnelle apposant leur nom sur un air dont l'auteur est anonyme ou disparu depuis longtemps, voire sur une mélodie populaire anonyme. A l'inverse, les musiciens traditionnels ont une tendance très marquée à citer leurs sources lorsqu'ils interprètent une chanson ou une mélodie sur scène ou sur disque, rendant ainsi hommage à la continuité de la transmission par un simple " I learnt this song from the singing of ... " ou par un " I learnt this tune from the playing of ... " ('j'ai appris cette chanson / cet air par l'intermédiaire de ...').

Aujourd'hui, certaines associations non-irlandaises de défense des droits d'auteur, comme l'ASCAP aux Etats-Unis, tendent à considérer les sessions des pubs irlando-américains comme des représentations publiques, et à ce titre font pression pour qu'elles soient taxées en avançant l'avantage que représenteraient pour les musiciens des rétributions plus organisées. Cette tendance semble également se dessiner en Irlande au sein de l'IMRO, provoquant la colère d'un grand nombre de musiciens et de propriétaires de pubs note 59. Si une telle perception de la musique traditionnelle irlandaise venait à se concrétiser et à se répandre, elle pourrait sonner le glas des sessions dans les pubs.

Enfin, de nouveaux problèmes liés aux développements technologiques apparaissent : jusqu'à une période récente, seule la mélodie était considérée comme propriété intellectuelle de l'auteur. Mais, grâce au développement dans les années quatre-vingt de synthétiseurs permettant à chacun d'inventer de nouveaux sons, ceux-ci pourraient devenir éléments de propriété intellectuelle, car on assiste au 'piratage' d'éléments sonores de chansons au moyen des échantillonneurs. Quelques rares procès se sont déroulés autour de la propriété du son, du " timbre " inventé note 60.

Autre problème similaire, la diffusion de fichiers musicaux de type " MIDI " note 61 amène bon nombre de musiciens à se demander ce que signifient légalement les termes de " chanson " ou d' " arrangement ". Les fichiers MIDI, qui ne sont pas des partitions mais des informations destinées à être transmises et jouées par un synthétiseur, comportent cependant en eux-mêmes toutes les données pour imprimer une partition, ce que la quasi-totalité des logiciels appelés " séquenceurs " peut faire. Et l'on obtient alors un véritable arrangement, une orchestration imprimée méritant tout à fait d'être considérée comme propriété intellectuelle.

Cette orientation vers une culture économiquement individualisée rejoint en quelque sorte nos explications précédentes : en effet, les tendances contemporaines visant à organiser la rétribution d'une oeuvre encouragent l' " invention culturelle " et laissent peu de place à un système basé sur la propriété collective d'une " oeuvre " musicale. Le coeur du problème aujourd'hui ne réside donc pas dans l'absence de renouvellement du fonds musical populaire, mais dans son appropriation légale par un individu, ôtant ainsi à la communauté toute possibilité de se réapproprier l'oeuvre, et lui ôtant du même coup toute possibilité de consolider une unicité culturelle. Cette réappropriation continuelle par la communauté est pourtant l'un des fondements de toute société humaine. Ce sont ces multiples influences conditionnant l'assimilation collective que nous allons étudier maintenant afin de saisir toute la pertinence du fait musical dans la constitution d'une identité irlandaise.

- Identités collectives

Comme nous l'avons montré, les phénomènes religieux et artistiques, dont les racines sont fondamentalement communes, constituent les principes élémentaires de l'édification d'une identité collective, associés dès la préhistoire en Europe : les premières représentations de musiciens figurant parmi les peintures rupestres des grottes du sud de la France datent d'environ 14.000 ans, et en démontrent le caractère sacré. On sait pour ce qui nous concerne que le cruitire, le harpeur des clans gaéliques jusqu'au Moyen Age, faisait partie de la classe sacerdotale (voir pages 20-21).

L'évolution du caractère unificateur de la musique en Irlande peut donc être perçue comme son adaptation aux différents contextes historiques. Ainsi fut-elle soumise aux influences respectives des différents modes de transmission, aux migrations entre l'Irlande et les pays plus riches, puis aux apports des médias et, plus récemment encore, à ses implications touristiques.

- Les transmissions

Si l'invention fait bien partie intégrante de la continuité culturelle humaine, c'est sa transmission de génération en génération qui en assurera dans tous les cas la pérennité. C'est pour cette raison que l'oralité fut longtemps considérée comme l'élément central de la définition des musiques traditionnelles. Nul doute cependant, au vu de notre chapitre sur les collecteurs, que les musiciens bénéficièrent grandement de l'invention de l'imprimerie par Gutenberg vers 1440 et, plus encore, de l'invention de l'imprimerie musicale en 1473 note 62, à partir des premières collections de partitions musicales rédigées dès 1651 en Angleterre et dès 1724 en Irlande (voir page 258). Cette rapide prise en compte des évolutions technologiques par une population est l'une des caractéristiques principales des traditions modernes, comme nous l'avons montré.

Nous avons également fait remarquer que tous les collecteurs, jusqu'à Francis O'Neill au début du XXe siècle, étaient protestants et se joignaient à leur manière aux grands courants romantiques puis nationalistes. Il n'est pas besoin de pousser plus avant la démonstration pour saisir à quel point l'identité collective, en Irlande comme ailleurs, plonge ses racines dans le nationalisme. Il suffira aujourd'hui de se tourner vers les rencontres sportives pour voir la musique se transformer en hymnes nationaux au début des grands matches de toutes les Coupes du Monde, ou en symboles de victoires lors des Jeux Olympiques. Comme dans de nombreux pays, l'hymne national irlandais est fortement imprégné de valeurs guerrières note 63, et la période estivale en Irlande du Nord (la " Saison des Défilés ") est toujours l'occasion pour les Protestants comme pour les Catholiques de ressortir leurs fifres et leurs tambours pour marquer leur territoire et défier celui des autres. On sait à ce propos que dans de nombreux cas les instruments sont les mêmes, et que certaines mélodies ne diffèrent parfois que dans l'interprétation. C'est également dans les mêmes studios que tous ces musiciens enregistrent.

Les collecteurs du XIXe siècle ne se contentèrent cependant pas d'insuffler un nouvel élan au nationalisme irlandais, ils eurent également à coeur de faire de ces mélodies des emblèmes du bon goût anglo-irlandais, qui se répandit par la suite comme nous l'avons indiqué. Ce faisant, ils établissaient pourtant une distinction nette entre les deux composantes de la société irlandaise : celle, plus policée, à laquelle ils appartenaient ; l'autre, plus simpliste à leurs yeux et plus tard idéalisée, à l'origine de ces mélodies et de ces chants. On retrouve la trace de cette dichotomie en écoutant quelque ténor chanter des airs traditionnels selon des schémas musicaux classiques, comme Seán Ó Riada le fit faire à Seán Ó Sé au début des années soixante. Cette tendance semble, depuis lors, s'être partiellement éclipsée de la scène musicale irlandaise.

Nous avons vu précédemment que la responsabilité de cette transmission de la tradition n'incombait pas aux seuls collecteurs. Les enregistrements dans leur ensemble, et les disques en particulier, sont donc également à l'origine d'une profonde contradiction des sociétés occidentales contemporaines. Ainsi, les enregistrements mirent en évidence la contradiction inhérente à cette nouvelle forme de transmission du savoir car, bien qu'en partie destinés à sauvegarder et à perpétuer une tradition, les disques n'en contribuent pas moins à la fixer et, de ce fait, à la condamner à une mort lente. Ce contraste est tout à fait représentatif des problèmes que rencontrent les sociétés occidentales depuis le début de ce siècle face au caractère dual de la tradition :

Le XXe siècle, qui n'est plus " l'âge de l'exploration ", pourrait être l'âge de la dissémination. Autrefois, il nous fallait aller très loin pour entendre la musique d'autres peuples, mais aujourd'hui il nous suffit généralement d'aller jusqu'au plus proche magasin de disques. Et nous, " Occidentaux ", ne sommes pas les seuls - ceci est un phénomène véritablement global. Les Zaïrois, les Cubains et les peuples aborigènes d'Australie connaissent parfaitement bien, que cela vous plaise ou non, la musique pop occidentale. Acceptée, sortie de son contexte, la musique et tout autre forme de culture, est tout à fait différente. Elle acquiert une signification entièrement nouvelle, différente de celle initialement prévue, mais c'est peut-être comme cela que l'évolution agit. Peut-être que cela fait également partie de notre siècle. Tout aujourd'hui, et pas seulement la culture, est pris hors de contexte. note 64
Ce danger semble tout à fait réel, et ces réflexions rejoignent nos craintes concernant la 'folklorisation' des cultures.

Un autre élément, plus positif et particulièrement pertinent au sein de nos sociétés, concerne la relation aux disques et aux enregistrements commerciaux. Il est aujourd'hui notoire que les musiciens classiques considèrent ces petites galettes technologiques comme un pis-aller de l'univers du mélomane. Il est tout aussi reconnu que la musique rock-pop s'est parfaitement bien adaptée à ce nouveau mode d'expression qu'elle sait utiliser en tant que tel. La musique traditionnelle en général, et irlandaise en particulier, semble avoir tardé à prendre la mesure des enjeux culturels et économiques. Les deux dernières décennies ont cependant vu la naissance d'un très grand nombre de labels irlandais, que nous avons énuméré dans notre deuxième chapitre (voir page 280). Cet engouement témoigne bien entendu autant d'un besoin culturel que d'une volonté économique et tend à confirmer la représentation positive de la musique irlandaise à l'extérieur des frontières du pays. Une telle projection vers l'extérieur contribue bien évidemment à forger chez les Irlandais une image culturelle d'eux-mêmes particulièrement forte.

Le dernier facteur de transmission de la musique traditionnelle irlandaise est constitué depuis peu de temps par les archives physiques et virtuelles auxquelles nous avons fait allusion plus haut (voir pages 330 et infra). Les premières actions dans ce domaine en Irlande furent organisées par divers centres universitaires d'études de la musique irlandaise : Le Department of Irish Folklore à University College Dublin dans les années trente, le département de musique de University College Cork dans les années soixante, et plus récemment le Irish World Music Center de Limerick. Une National Archive of Folk Music à également été créée en 1972 avec l'aide du Ministère de l'Education. Les archives musicales de tous ces centres comprennent des milliers d'enregistrements, de textes et de partitions. De son côté, l'organe de Radio-Télévision Irlandaise (RTÉ) collecte et gère une banque de données musicales, forte de plusieurs milliers d'enregistrements.

Il fallut cependant attendre 1991 pour voir la création d'archives de grande envergure ouvertes au public : c'est la Irish Traditional Music Archive de Nicholas Carolan note 65. Son succès est immense auprès des musiciens qui peuvent y trouver matière à renouveler leur répertoire ou à enrichir leurs connaissances. Le nombre de mélodies proposées est si vaste que la vie d'un musicien ne suffirait sans doute pas à les connaître toutes de manière satisfaisante.

Une autre étape reste cependant à franchir et concerne la publication, encore extrêmement rare, de ces informations. Seule une proportion infime de ces données a été étudiée, un peu à l'image des astronomes amassant des milliards d'informations sur les étoiles qui les entourent sans jamais avoir le temps de les examiner. Ce n'est plus un cercle vicieux, mais une spirale vicieuse dans laquelle s'enferment les collecteurs, condamnés à engranger les informations sans espérer pouvoir les étudier un jour. Il est très vraisemblable que ces milliers de fichiers finiront par être disponibles sur le réseau Internet, où de nombreux sites consacrés à la musique traditionnelle irlandaise existent déjà, le principal étant le Ceolas Archive, dirigé par Gerard Manning. On parvient ainsi à résoudre du même coup le problème de leur publication et celui de leur accès. Mais ce trop plein de matière première actuellement disponible est une nouvelle fois représentatif de la mondialisation de l'information à laquelle sont soumis les musiciens du monde entier, et concourt à ce qu'il est convenu d'appeler l'uniformisation des identités culturelles. Cette tendance explique en grande partie les réticences de certains musiciens et mélomanes à l'égard des apports extérieurs. En effet, face à la globalisation et à la complexité croissante du monde économique, culturel ou politique, il est naturel que certaines fractions de la population se sentent submergées par tant d'informations et soient souvent tentées par un repli sur soi et par un refus des influences externes. On retrouvera plus particulièrement cette propension dans les associations de défense de la musique traditionnelle irlandaise comme le Comhaltas Ceoltóirí Éireann. Il est frappant de constater que certaines influences sont rejetées parce que fondées sur des échanges virtuels (les disques, les médias, Internet), tandis que celles dérivant des échanges de populations, que nous allons étudier maintenant, semblent plus naturelles et sont mieux acceptées.

- Les migrations

Nous le savons, la diaspora irlandaise figure parmi les plus importantes au monde, comparable en nombre et en dissémination à la diaspora juive. La musique traditionnelle irlandaise se promène donc sur toute la surface de la planète grâce à ses représentants depuis de nombreux siècles. Deux nations furent les réceptacles privilégiés de l'émigration d'Irlandais en quête d'un niveau de vie décent : la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. Toutefois, leurs influences ne se produisirent pas à la même époque et n'eurent pas les mêmes effets

Nous avons montré l'importance des immigrés irlandais aux Etats-Unis dans le renouveau de cette musique, de Patsy Touhey au début du siècle, jusqu'aux Clancy Brothers dans les années cinquante. Il est également important de mentionner la portée d'une telle influence sur l'élaboration de la musique populaire américaine. En effet, les musicologues s'accordent à penser que trois grandes sources sont à l'origine des musiques du XXe siècle que sont le jazz, le blues, voire le country & western et le rock : les chansons populaires françaises, les chants et les rythmes africains, ainsi que les mélodies irlandaises et écossaises. On retrouve ainsi au sein de cette musique populaire américaine du XXe siècle un très grand nombre d'airs irlandais plus ou moins modifiés et plus ou moins reconnaissables : parmi les nombreux exemples manifestes, citons la mélodie de " With God on our Side ", de Bob Dylan, directement issue du fonds musical irlandais note 66. On peut également constater que le phénomène folk américain eut un impact considérable sur les scènes musicales anglaise et irlandaise dès la fin des années cinquante : un jeune anglais nommé Lonnie Donegan atteignit la huitième place des hit-parades américain et anglais en 1956 avec " Rock Island Line ", chanson écrite par le musicien itinérant Hughie Leadbetter (dit Leadbelly), compagnon de route de Woody Guthrie. C'est ce répertoire qui fut bientôt popularisé par les groupes de Skiffle anglais note 67, amorçant la mode des folk-clubs dans lesquels bon nombre de musiciens irlandais comme Luke Kelly, Christy Moore ou Paul Brady redécouvrirent la musique traditionnelle irlandaise par l'intermédiaire des ballades. Grâce à cette puissante vague folk, celle-ci devint soudain aussi intéressante, sinon plus, que le rock'n'roll.

Du cottage décrépi dans lequel elle s'était assoupie, la musique traditionnelle irlandaise s'était offert un voyage et rentrait tranquillement au pays pour méditer sur l'expérience acquise : " une musique transmise oralement entre personnes, qui a voyagé dans le monde, qui s'est vu influencée par le monde, est revenue chez elle pour repartir de plus belle " note 68.

Un dernier élément reste à interpréter et concerne la multiplication des festivals de musiques celtiques dans le monde : aux Etats-Unis bien entendu, et dans toutes les régions où la diaspora irlandaise est présente, mais également en Allemagne, en Bretagne, en Scandinavie, en Pologne, etc. Si cette abondance témoigne sans équivoque de la popularité actuelle de ces musiques, on ne pourra s'empêcher de s'interroger sur cette tendance et d'y voir les aspects néfastes et mercantiles de la mode, que les magazines internationaux s'empressent de relayer :

Pourquoi la musique celtique ? Et pourquoi maintenant ? " Les amateurs de musique de plus de trente ans veulent élargir leurs horizons, mais ils ne veulent pas écouter les trucs qu'ils ont entendus quand ils étaient plus jeunes " explique Val Azzoli, président associé des disques Atlantic, (...) qui a récemment créé un sous-label nommé Celtic Heartbeat pour présenter les stars naissantes de l'Irlande. note 69
Mais, à bien y réfléchir, est-il plus incongru de rencontrer un festival de musiques celtiques à Varsovie qu'un festival de jazz à Vienne ou qu'un festival de Musique Classique occidentale au Japon ? Ne s'agirait-il pas d'un mouvement plus profond qui ne demande qu'à se pérenniser ? La musique traditionnelle irlandaise, socialement acceptable à partir des années cinquante sur les ondes nationales irlandaises, devenue commercialement exploitable, c'est-à-dire exportable, dans les années quatre-vingt dix, pourrait parfaitement s'installer définitivement sur la scène internationale. Quelle qu'en soit l'issue, une telle évolution témoigne une nouvelle fois du rôle capital que jouèrent les médias au XXe siècle dans la constitution d'une image collective représentative de la culture irlandaise.

- Les médias

Comme nous l'avons vu, le phénomène radiophonique se développa dans les années 1920 aux Etats-Unis et arriva en Irlande peu de temps après. La musique traditionnelle irlandaise y fut toujours présente au travers de nombreuses émissions régulières et la première radio de RTÉ est aujourd'hui diffusée sur le satellite Astra, sans doute en raison d'une forte demande des Irlandais résidant sur le continent européen. En revanche, aucune chaîne de la télévision irlandaise, apparue dans les années soixante, n'est disponible hors du territoire de la république d'Irlande note 70. Si les musiciens irlandais se plaignent généralement de l'absence remarquée de la musique traditionnelle irlandaise sur les chaînes nationales, le renouveau des années quatre-vingt dix (qui pourrait n'être qu'une mode passagère selon les plus pessimistes) a malgré tout engendré deux séries télévisées importantes. Contrairement aux émissions radiophoniques essentiellement consacrées à l'écoute passive des grands classiques et des nouveautés, la réflexion menée par plusieurs musiciens irlandais a conduit à la réalisation en 1991 de Bringing it all Back Home par Philip King et Donal Lunny, puis en 1994 à celle de A River of Sound, de Mícheál Ó Súilleabháin. Dans les deux cas, ces émissions expliquaient l'importance de la musique traditionnelle irlandaise, non seulement en Irlande, mais également de manière plus globale pour l'ensemble des musiciens du monde. En outre, l'intermède musical proposé par RTÉ lors du concours de l'Eurovision en 1994 fut une telle réussite que le spectacle construit depuis sur cette formule remporte un immense succès en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, confirmant dans l'esprit des Irlandais la place privilégiée qu'ils occupent sur la scène musicale mondiale. Dans le même temps, les puristes hurlent au scandale, se déclarant choqués par cette récupération mercantile de leur musique. Ces controverses autour de la série télévisée de Mícheál Ó Súilleabháin et du spectacle River Dance ont atteint leur apogée à l'été 1995, et l'un des débats les plus passionnés eut lieu lors de la Patrick Magill Summer School, dans le Donegal note 71. Cet antagonisme semble pouvoir se résumer à un fort désaccord sur les orientations à prendre : il oppose une tendance proche du Comhaltas Ceoltóirí Éireann et celle globalement symbolisée par les groupes The Bothy Band ou Planxty, dont fit partie en 1980 Bill Whelan, compositeur de la musique de River Dance. Plus que jamais, les termes de 'musique irlandaise' sont particulièrement polysémiques, mais le succès de la vente des cassettes vidéos de Riverdance ne laisse pas le moindre doute sur l'opinion des Irlandais : ils sont une grande majorité à aimer ce spectacle, avant tout pour l'air frais insufflé à la danse irlandaise.

Mais cette tendance à l'exportation de la musique et de la danse irlandaises est également le résultat d'un fait économique incontournable :

la marge d'action des petits Etats européens et de leurs industries audiovisuelles respectives est effectivement restreinte. (...) Au niveau structurel, le marché des productions nationales est limité, ce qui constitue un obstacle à la rentabilisation et à la survie des petites industries audiovisuelles. note 72
Le marché irlandais étant notoirement trop petit pour faire vivre les musiciens, ceux qui n'ont pas définitivement opté pour l'émigration doivent tirer parti de leur accès privilégié à certains marchés, en particulier ceux des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. A titre d'exemple, c'est aux Etats-Unis que les Chieftains se produisent durant la plus grande partie de l'année, et les séries télévisées citées plus haut (Bringing It All Back Home et A River of Sound) furent toutes deux co-produites avec la B.B.C. De manière tout à fait similaire, le seul moyen pour les artistes irlandais de vivre de leur métier est de s'expatrier régulièrement, le plus souvent le temps d'une tournée.

Mais le développement des médias n'en est sans doute qu'à ses balbutiements, tout comme le dernier-né de la famille, Internet : " l'homme glanait jadis sa subsistance : il devient aujourd'hui glaneur d'information. Et dans ce rôle, l'homme électronique n'est pas moins nomade que ses ancêtres paléolithiques " note 73.

L'évolution actuelle des phénomènes médiatiques vers ce qu'il est convenu d'appeler les " autoroutes de l'information " apparaît comme le prolongement d'une aventure amorcée avec l'arrivée de la radio, puis de la télévision, comme en témoigne cette citation de Bertolt Brecht s'interrogeant dans les années trente sur l'intérêt de la radio à ses débuts :

On avait pourtant l'impression que cet événement n'était pas simplement une mode mais aussi quelque chose de vraiment moderne (..) C'était un triomphe colossal de la technique que de pouvoir désormais faire parvenir au monde entier une valse de Vienne ou une recette de cuisine ; et cela pour ainsi dire en restant dans sa cachette. C'était un événement marquant pour l'époque, mais pour quoi faire ? note 74
Une telle citation pourrait tout à fait s'appliquer, à quelques mots près, au fonctionnement du réseau Internet, et la question posée reste tout aussi valable. Contentons-nous, étant donné le caractère très récent du phénomène, de constater que la musique traditionnelle irlandaise y est très présente et y rencontre un franc succès, indice supplémentaire de son succès médiatique international. note 75

Comment, dans ces conditions, s'étonner des influences offertes et reçues par la musique traditionnelle irlandaise ? Comment pourrait-il être question de restreindre ou de limiter de tels échanges ? L'intérêt des moyens de communication actuels, qu'ils soient physiques (tournées de musiciens, tourisme...) ou virtuels (radio, télévision, internet...) tient essentiellement à la réciprocité des influences, car l'on sait maintenant que la musique traditionnelle irlandaise a autant donné qu'elle a retiré de l'accélération du phénomène médiatique mondial au XXe siècle. Qu'on le veuille ou non, ces échanges font bel et bien partie du paysage culturel de notre planète aujourd'hui, et trouveront forcément leur place dans les traditions musicales de chaque pays. Dans le cas contraire, force serait de constater qu'une musique qui s'éteindrait n'aurait pas su s'adapter aux bouleversements du milieu dans lequel elle s'épanouissait jusqu'alors. Ce fait résume à lui seul la double implication de la musique en tant que phénomène culturel : émanation directe d'un peuple ou d'une culture, elle fait désormais partie intégrante du patrimoine artistique mondial puisqu'elle est répertoriée, classée, enregistrée : elle peut donc légitimement être considérée, dans certains cas, comme une oeuvre d'art appartenant à l'humanité et non plus seulement au groupe qui l'a produite ; mais elle se doit également d'être un corps vivant représentatif de cette culture ou de ce peuple, lui-même en perpétuelle évolution. Dotée de valeurs culturelles censées unir le groupe, il lui faut s'adapter à son milieu, évoluer avec celui-ci pour continuer à représenter la communauté dont elle est la propriété commune :

Si vous éliminez un peuple, ou une tribu, vous tuez également sa musique, et quelle que soit la quantité d'images ou d'enregistrements effectués, vous ne gardez en réalité de la musique qu'un produit. Ce que vous avez tué en tuant les gens c'est le processus créatif de la musique, et je crois que c'est plus important que le produit note 76.
La disparition de certaines musiques traditionnelles peut parfois s'expliquer par la disparition d'une communauté, mais elle est le plus souvent le résultat de la pétrification artificielle au moyen des modes de fixations que sont les partitions et les enregistrements. Tel n'est pas le cas de la musique traditionnelle irlandaise qui, au XXe siècle, a parfaitement su s'adapter au monde qui l'entoure. C'est d'ailleurs un véritable tour de force qui a été accompli : ce qui apparaissait il y a quelques décennies comme une survivance anachronique est en passe de devenir l'un des nouveaux fers de lance de l'économie irlandaise, au travers des industries tant phonographique que touristique, le développement de ce dernier phénomène étant lui-même intimement lié au XXe siècle.

- Le tourisme

A partir des années cinquante, le tourisme fut considéré en Irlande comme l'une des sources potentielles de revenu les plus importantes. Bord Fáilte (L'Office de Tourisme de la République Irlandaise) vit le jour en 1955 grâce au Tourist Traffic Act et son budget passa rapidement de £384.000 en 1956/1957 à £2.671.000 à 1966/1967, soit une augmentation de près de 700% en 10 ans !(note 77) Le marché du tourisme représente aujourd'hui 7% des recettes de la République note 78. L'intérêt de la musique apparut dès les années mille neuf cent soixante-dix avec les premières coopérations entre Bord Fáilte et le Comhaltas Ceoltóirí Éireann. Les enquêtes les plus récentes réalisées par le Arts Council indiquent l'importance que revêtent les arts dans le contexte touristique : on s'aperçoit ainsi que, dans leurs attitudes envers les arts, les Irlandais considèrent à 89% que " Les activités artistiques contribuent à faire venir les visiteurs et les touristes en Irlande " note 79. Nul doute que, parmi celles-ci, la musique figure à la meilleure place. En effet, les sessions, dont nous avons expliqué le fonctionnement semblent représenter l'une des plus importantes sources de revenu pour les propriétaires de bars (les publicans) et pour les musiciens. S'il ne nous a pas été possible de vérifier un tel fait auprès des premiers, nul ne peut imaginer que les innombrables sessions organisées dans les villages touristiques en été sont le fruit de la philanthropie irlandaise. En revanche, les renseignements très officieusement fournis par les musiciens indiquent que chaque musicien payé (deux ou trois par session organisée) reçoit en moyenne l'équivalent d'une vingtaine de pintes de Guinness par soirée ; à raison de cinq sessions par semaine, un musicien apprécié peut ainsi se constituer chaque mois un pécule relativement important dont le percepteur n'entendra jamais parler. Le cas n'est pas rare, loin s'en faut, et la plupart des musiciens des régions touristiques considèrent à juste titre la musique traditionnelle comme une importante source de revenus. Il arrive malheureusement que l'un d'entre eux se fasse épingler par l'administration et soit victime d'un redressement fiscal pour défaut de déclaration de revenus ; mais ce sont des expériences dont aiment peu parler ceux qui espèrent ne pas être le prochain. Véritable chance offerte aux jeunes musiciens qui trouvent dans ces sessions une activité estivale lucrative et sympathique, elles constituent de ce fait un marché parallèle établi depuis les années soixante-dix et qui restera bien difficile à cerner.

La conséquence de ce développement, outre les pertes évidentes pour l'Etat Irlandais en termes d'impôts, est l'hypertrophie de la vie musicale dans certains villages comme Dingle ou Doolin et, plus largement, la surabondance de musique dans certaines régions comme les comtés de Clare, de Galway et du Kerry. Ainsi succéda à l'explosion musicale irlandaise des années soixante-dix une période plus calme où les Irlandais eux-mêmes semblaient saturés de musique traditionnelle dans les pubs. Le renouveau des années quatre-vingt dix semble avoir relancé le mouvement de manière plus stable.

On assiste également à une forte différence d'évolution de la musique traditionnelle irlandaise entre les régions les plus touristiques et les zones sortant des sentiers battus. Doolin, considéré par certains comme la Mecque de la musique traditionnelle irlandaise, est en passe de devenir une véritable " réserve pour musiciens " que beaucoup de touristes visitent comme un zoo, cherchant frénétiquement l'emplacement du McGann's ou celui du O'Connor's. A Dingle, la réputation du O'Flaherty's est telle que, certains soirs, les musiciens se comportent davantage comme des fonctionnaires du lieu et en viennent à n'offrir qu'une parodie d'eux-mêmes. Par contraste, une petite plongée dans les villages du Sliabh Luachra (région située à cheval sur les comtés du Kerry, de Cork et de Limerick) nous offrira une indication des effets du tourisme sur le milieu social : ici, les musiciens semblent moins sollicités par les pubs, et l'influence économique est donc moins tangible. En outre, la musique semble avoir davantage gardé sa fonction d'accompagnement des danses, limitant de ce fait l'accélération des tempi et la disparition de certaines ornementations.

Si la musique représente pour la grande majorité des touristes un aspect essentiel de leur séjour en Irlande, elle représente pour beaucoup d'irlandais un aspect non négligeable, bien que difficile à chiffrer, de l'essor économique de ces dernières années. Cette relation a eu comme nous venons de le voir, de nombreuses répercussions sur la musique elle-même. Mais elle a, ici encore, conforté les Irlandais dans l'idée que leur musique est digne d'intérêt, y compris pour les étrangers non-spécialistes, et qu'elle représente donc une facette indéniable de leur culture et de leur identité. Ce miroir tendu, dans lequel l'Irlande commence à se reconnaître, est sans aucun doute le plus beau cadeau que le monde pouvait offrir au pays en ce XXe siècle.

- La musique irlandaise au XXe s.

Nous l'avons remarqué, seules quelques musiques ont su franchir le cap de l'urbanisation, éviter l'écueil du progrès-roi et déjouer les pièges de la tradition pétrifiée. La musique traditionnelle irlandaise, entre autres, y est parvenue. D'autres furent créées (le blues, le jazz, le rock) et constituent déjà des traditions aux yeux de certains. Si la musique traditionnelle irlandaise apparaît comme l'une des sources probables de ces musiques, les apports du XXe siècle à la musique traditionnelle irlandaise sont également nombreux et expliquent globalement sa pérennité. L'urbanisation en Irlande fut plus tardive que dans la majorité des autres pays occidentaux, retardant de quelques décennies l'arrivée d'une modernisation urbaine effrénée. Entre temps, les premières critiques sérieuses à l'égard de l'industrialisation avaient fait leur apparition, et les militants irlandais avaient eu le temps de créer, avec succès, des écoles où étaient enseignées la musique et la danse. Ainsi, l'arrivée conjointe dans les années cinquante de l'urbanisation et de son émanation musicale la plus récente (le rock'n'roll) eut pour effet d'urbaniser la musique traditionnelle irlandaise : l'avènement de groupes tels que The Bothy Band, puis Moving Hearts en porte témoignage.

Bien entendu, cette évolution ne se fit pas sans heurts, puisque la tradition, comme nous l'avons montré, s'équilibre constamment entre une tendance conservatrice et une tendance innovatrice. Dans ce sens, les concepts de tradition et de modernité n'ont aucune raison d'être opposés. En revanche, certains éléments se sont imposés sans qu'une accoutumance antérieure ait préparé leur introduction : de nouveaux instruments sont apparus et le concept de propriété individuelle d'une mélodie tend à s'imposer. Il n'est donc pas anormal, dans ces conditions de bouillonnement musical, que les ouvrages qui sont consacrés à la musique traditionnelle irlandaise ne trouvent pas de terrain d'entente sur sa définition. Nous nous permettrons ici de rappeler très brièvement les principales d'entre elles (voir pages 316 et infra). En 1913, Francis O'Neill se contentait de noter dans la musique de son époque une fidélité surprenante à celle du passé, mais sur quels exemples basait-il son argument ? En 1952 Donal O'Sullivan y voyait l'émanation mystérieuse du peuple gaélophone. Dans les années soixante, Seán Ó Riada parlait de musique inaltérée, non-occidentalisée, et Breandán Breathnach se risquait quelques années plus tard à observer le caractère anonyme de la tradition. Mais les définitions les plus récentes nous replongent dans l'incompréhension la plus totale. La musique sera considérée comme irlandaise tantôt parce que jouée sur l'île nommée Irlande, tantôt parce que composée par un musicien irlandais ou, dans certains cas parce qu'enregistrée dans un studio irlandais. Il n'est pas si inconcevable que l'administration responsable de la gestion des droits d'auteur imagine bientôt un nombre minimum de critères à satisfaire avant de pouvoir jouer de la musique irlandaise...

Puisqu'il nous apparaît impossible de définir la musique traditionnelle irlandaise de façon satisfaisante, il serait peut-être plus aisé de rassembler les éléments épars qui la composent sous un seul vocable. Car, si les termes de 'tradition', de 'folk' ou de 'populaire' nous offrent une vision trop synchronique du fait musical, le terme de 'patrimoine' pourrait être considéré comme plus respectueux de la dimension diachronique du phénomène étudié, malgré d'évidentes connotations. En effet, il pourrait nous être opposé que l'idée de patrimoine culturel mondial fait trop souvent référence à un produit figé, paralysé, qui ne rend pas compte de la vitalité du processus créatif que nous avons exploré. Pour sa part, le terme d'héritage concède une vision en perspective plus respectueuse des valeurs provisoires, éphémères et transitoires de toute musique traditionnelle. Mais, dans ce cas, la focalisation du terme sur le passé et l'absence totale de référence au futur nous pousseront également à l'abandonner.

Dans ces conditions, une attitude beaucoup moins normative nous permettrait peut-être de définir cette musique a posteriori selon des critères plus descriptifs. De ce point de vue, quelques orientations dans l'adaptation de la musique traditionnelle irlandaise peuvent apparaître. Une première forme semble intégrer certains éléments du jazz, en particulier les soli des musiciens, que l'on retrouve chez les Chieftains depuis plus de trente ans, mais également au sein de Clannad au début de leur existence. Une seconde tendance paraît plus proche du folk et de la chanson, et ses représentants les plus connus sont les Dubliners ou Christy Moore. Enfin, des groupes comme Horslips, Moving Hearts ou The Bothy Band ne peuvent être classés que dans une catégorie influencée par le rock, soit du fait des instruments utilisés, soit en raison de l'atmosphère qui se dégage de la musique. Cette dernière orientation a la faveur d'un grand nombre de jeunes groupes aujourd'hui. Bien entendu, certains artistes irlandais ne rentreraient dans aucune de ces catégories en raison du caractère très individualisé de leur production mais, répétons-le, de telles classifications restent arbitraires et ne peuvent constituer qu'une base pour tenter de comprendre les orientations futures et les évolutions possibles de la musique en Irlande.

Convenons donc, à ce stade de notre étude, que cette tentative de définition s'avère globalement infructueuse : il n'existe pas de définition unique et figée de la musique traditionnelle irlandaise, mais une multitude d'éléments constitutifs de cette musique, tous représentatifs d'une des facettes de cette société. Comme nous l'avons expliqué, la musique n'est pas seulement un produit fini et empaqueté, mais également l'ensemble des éléments qui la façonnent. Tenter de définir la musique irlandaise, qu'on la nomme traditionnelle ou folk, revient à tenter de définir une société irlandaise mouvante et insaisissable : " il semble toujours y avoir un renouveau de la musique 'folk' ; en fait, la musique 'folk' ne disparaît jamais : elle a simplement besoin d'une nouvelle définition à peu près tous les dix ans " note 80.

Face à cet échec permanent et, pour certains, face au caractère irréductible de la musique traditionnelle, un courant relativement puissant s'attache à ce qu'il est aujourd'hui convenu d'appeler la musique celtique. Là encore, les tentatives de définitions et les dérives furent nombreuses.

Il paraît aujourd'hui incontestable que les peuples celtiques eurent, entre -500 et le début de notre ère, une influence prépondérante sur le développement culturel, économique et politique de ce qui allait devenir l'Europe, bien que cette influence soit parfois masquée aujourd'hui par un superstrat gréco-latin. Il est tout aussi indéniable que l'Irlande garda plus longtemps les traces de l'un de ces peuples, les Gaels. Mais nous ignorons presque tout de la langue de ces peuplades, et à plus forte raison de leur musique. Considérer, comme le font certains, que la musique celtique contemporaine est restée pure et intacte pendant des millénaires, c'est par définition nier à ces musiques leurs capacités d'évolution ; c'est également leur refuser toute capacité d'adaptation au milieu dans lequel elles vivent. Poussée à leur extrême, de telles réflexions ne peuvent conduire qu'à une conclusion : l'inadaptation de ces musiques aurait dû les mener à la disparition totale. Tel n'est pas le cas. Accepter que les musiques traditionnelles évoluent, c'est accepter qu'il n'existe pas de phénomène culturel pur. C'est aussi comprendre que la musique celtique contemporaine n'a vraisemblablement rien à voir avec les musiques jouées à l'époque médiévale dans les cours des princes et des rois d'Irlande et, à fortiori, en des périodes plus reculées.

Il est donc de ce point de vue essentiel de comprendre que la musique celtique n'est plus aujourd'hui qu'un concept médiatique fort, tout comme la musique des Indiens d'Amérique du Sud dans les années soixante-dix ou et d'Amérique du Nord aujourd'hui, toutes transformées en produit commercial. Le succès de ces deux musiques est vraisemblablement dû, outre des qualités musicales incontestables, à une excellente médiatisation de ses représentants, en particulier aux Etats-Unis où les maisons de disques tendent à associer les Indiens à la mode du New Age.

En réalité, peu d'éléments concrets unissent véritablement ces musiques dites 'celtiques', séparées par plusieurs siècles d'éloignement. Si les mélodies écossaise et irlandaise ont sans aucun doute des points communs, les liens avec les musiques galloises et bretonnes semblent beaucoup plus ténus. Quant à l'Asturie, les recherches les plus récentes d'historiens asturiens ont démontré que l'appartenance de cette région au monde celtique est un fantasme des romantiques du XIXe siècle. Pourtant, force sera de constater que le niveau musical des groupes asturiens s'est nettement amélioré depuis leur intégration au sein du Festival Interceltique de Lorient.

Le seul lien avéré entre ces musiques est donc la harpe celtique, invention récente puisqu'elle ne date que des années mille neuf cent soixante-dix. Il est en effet indéniable que l'instrument aujourd'hui connu sous ce vocable n'est, en Irlande, qu'une recréation incontestablement modifiée de la harpe irlandaise médiévale ou, plus précisément, des harpes irlandaises médiévales ; quant à la Bretagne où elle suscite un véritable courant d'enthousiasme depuis les années soixante-dix et le célèbre album de Alan Stivell " Renaissance de la Harpe Celtique ", les traces écrites ou physiques attestant de son passage semblent inexistantes.

Les faits ainsi présentés pourraient nous mener à en déduire l'inexistence d'une musique celtique. Ce serait pourtant faire abstraction des définitions communément admises de l'identité, reconnaissant parmi les éléments pertinents le sentiment d'appartenance note 81. Un tel sentiment de cohérence et d'unité délibérément recherchée ne se discute donc pas note 82. Reconnaissons également, sur un plan plus élémentaire, que les oreilles non-habituées tendent à confondre allègrement toutes ces musiques, preuve d'une certaine unité puisque acceptée et identifiée comme telle par des éléments extérieurs au groupe. Ce miroir tendu, auquel nous avons déjà fait allusion, équivaut donc à une véritable identité aux yeux des ethnologues.

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Nous l'avons vu, l'être humain transmet son savoir par oral, par écrit ou par l'exemple, l'animal intégrant le plus souvent son expérience à son capital génétique (voir page 309). La tradition se doit donc d'être considérée comme une nécessité biologique inhérente à la continuité de l'espèce humaine. La tradition, tentative d'explication de la présence humaine sur la terre, nécessite donc un choix de la part de l'être humain entre les différentes influences à l'oeuvre. Jusqu'à une période relativement récente (et dans tous les cas avant les années soixante), ce choix se trouvait limité par le manque d'ouverture de la société irlandaise. Aujourd'hui, les limites n'existent plus et le choix des influences est lui- même infini : la musique traditionnelle irlandaise traverse par conséquent une période de crise due à cette absence d'unité qui la caractérise et qui caractérise également la société irlandaise.

Certains éléments caractéristiques témoignent pourtant d'une indéniable continuité de la musique traditionnelle irlandaise : des instruments spécifiques comme la harpe et le uilleann pipes perdurent ; le sean-nós est directement issu de la tradition chantée moyenâgeuse et certaines mélodies ont incontestablement une origine ancienne ; la fonction d'accompagnement de la danse se perpétue. Mais, sous le masque de la continuité, la musique traditionnelle irlandaise n'en demeure pas moins la conséquence directe de la réalité quotidienne des musiciens et des danseurs. Reprenons les exemples cités plus haut : le uilleann pipes et la harpe, emblèmes complémentaires de l'Irlande, ont subi des mutations organologiques ou sociales importantes et sont aujourd'hui joués et enseignés aux Etats-Unis ou au Japon note 83 ; le sean-nós peut être chanté en anglais sans que quiconque s'en offusque et de nouvelles mélodies apparaissent régulièrement, parfois sous le nom de leur auteur ; enfin, la musique est devenue en grande partie une musique à écouter, conquérant le marché du disque et les oreilles des mélomanes dans le monde entier.

C'est donc bien sous l'influence des apports du XXe siècle que le terme de 'tradition' a acquis une acception figée et synonyme d'anachronique. Une telle vision est aujourd'hui obsolète.

Mais alors à quoi rime la distinction entre les sociétés dites traditionnelles et celles dont on prétend ou qui prétendent qu'elles ne le sont pas parce qu'elles seraient historiques, changeantes, et toujours à caractériser par leurs modernités successives ? En fait, elles ne sont pas moins traditionnelles les unes que les autres (...). note 84
En rapportant une telle logique à la musique, il ne serait donc pas inconvenant d'appliquer le terme de traditionnel au blues et au jazz, mais également au rock ou au rap. Issus d'une longue évolution, ils représentent autant la tradition que la modernité : ils sont de notre temps, de notre présent, fugitifs et incertains. Ils nous relient au passé en perpétuant l'expression populaire et nous ouvrent les portes des futurs possibles. Cette rencontre savamment équilibrée entre ces deux forces illimitées que sont le passé et le futur porte un nom : l'identité. Celle-ci ne peut en effet être vécue qu'au présent, en harmonie parfaite avec les racines passées et les développements futurs, et sa définition ne dépend aucunement du passé mais du présent, car tout discours jaillit du présent :
Tous les récits s'organisent à partir de la fin, du jour où l'on parle et de la personne à qui l'on s'adresse. Quand une autobiographie commence par une phrase telle que : " je suis né à Marseille, d'un père homme de peine et d'une mère fille de joie " (A. Allais, Les Pensées, Le Cherche-Midi, 1987), elle donne la preuve qu'il s'agit d'une représentation puisque l'événement ne peut pas avoir été mémorisé. note 85
Et une telle définition s'applique bien entendu à la tradition :
 Il s'ensuit que l'itinéraire à suivre pour en éclairer la genèse n'emprunte pas le chemin qui va du passé vers le présent mais le chemin par lequel tout groupe humain constitue sa tradition : du présent vers le passé. (...) Ce n'est pas le passé qui produit le présent, mais le présent qui façonne son passé. La tradition est un procès de reconnaissance en paternité. note 86
Bien entendu, la musique étant le lien privilégié entre l'homme et le temps (voir note 167), il est légitime que celle-ci soit la traduction directe d'une identité en perpétuelle adaptation face au temps qui s'écoule : " la maturité de l'identité se repère par l'aptitude de l'identité à intégrer des expériences nouvelles et à créer sans arrêt à partir de cela une identité nouvelle, toujours en devenir " note 87.

Qui, dans ces conditions, pourrait prétendre que la musique n'est pas la figure de proue d'une identité irlandaise parvenant à maturité note 88 ?  


54 Selim ABOU, L'Identité Culturelle, Paris, Anthropos, 1986 (1ère éd. 1981), p. 161.

55 Il s'agit des articles 2 (paragraphes 1 et 3) et 11 (paragraphe 1), ainsi que de l'appendice III (paragraphe 3). Voir le site Internet de l'Université de Cornell, aux Etats-Unis : http://www.law.cornell.edu/treaties/berne/overview.html

56 La Crossroads Conference intitulée " Tradition and Change " se tint du 19 au 21 avril 1996 à Dublin sous les auspices du Arts Council, du Arts Council of Northern Ireland, de IMRO et des départements concernés des universités de UCD, Maynooth, TCD, UCC, UCL, Queen's.

57 Le uilleann piper Peter Browne me faisait de ce fait remarquer en août 1995, alors que nous discutions du deuxième album du groupe Déanta, que celui-ci jouaient l'un des morceaux qu'il avait lui-même composé, sans que son nom soit mentionné. Cela ne l'offensait pas le moins du monde en apparence.

58 C'est ainsi que le groupe pop anglais The Christians a repris cette mélodie en 1990 sous le nom de " Words ", considérée pour l'administration comme 'music trad. arr. H. Priestman' (The Christians, album " Colours ", 1990, Island-BMG, 410 455 [France : RC470])

59 Voir l'interview de Máire Breatnach, Hot Press, Vol. 20, N° 15, 7 août 1996, p. 29.

60 Voir à ce propos (et pour toutes les questions concernant l'évolution du rock depuis quelques décennies) l'excellent essai de Jeremy J. BEADLE, Will Pop Eat Itself ?, Londres, Faber & Faber, 1993, 269 p. La question de la propriété du son n'est d'ailleurs pas le seul fait du monde de la musique : le fabriquant de motos Harley-Davidson a perdu en 1996 un procès intenté au constructeur japonais Honda pour plagiat du bruit typique des moteurs Harley-Davidson. Dans ce cas également, Honda a fait valoir avec succès qu'il n'existait pas de droits d'auteur sur les sons et les bruits.

61 le " MIDI " (Musical Instrument Digital Interface) est le standard adopté en plusieurs étapes dans les années quatre-vingt par les fabricants de synthétiseurs pour leur permettre de communiquer entre eux. Les fichiers MIDI sont des fichiers comportant toutes les informations nécessaires à un ordinateur (plus précisément à un type de logiciel nommé séquenceur) de jouer une mélodie en envoyant ces données vers sa carte son (ou un véritable synthétiseur), et vers des enceintes acoustiques. On en trouve des milliers sur Internet, librement distribués et pour tous les styles de musique, y compris du traditionnel irlandais à foison.

62 Voir William Henry GRATTAN FLOOD, A History of Irish Music, op. cit., 1927 (1ère éd. 1904), p.101.

63 Le texte de l'hymne irlandais, Amhrán na bhFiann (" La Chanson du Soldat "), comporte ainsi des déclarations aussi univoques que " Seo dhibh a cháirde duan Óglaigh [Voici une chanson de soldat] (...) Is fonnmhar faobhrach sinn chun gleo [Nous sommes avides de batailles](...) Ba bhuachach ár sinsir romhainn [Nos ancêtres ont combattu avant nous](...) Ba dhúchas riamh d'ár gcine cháidh [Nous sommes à jamais une race de combattants] ".

64 " The twentieth century, no longer the " age of exploration ", might be the age of dissemination. In the past, we had to travel far and wide to hear the music of other peoples, but now most of us need only go as far as the nearest record shop. And we in the " West " are not alone - this is a completely global phenomenon. Zairians, Cubans and Australian Aboriginal peoples are well aware, like it or not, of Western pop. Granted, taken out of context, music and other forms of culture are something quite different. They take whole new meanings than those originally intended, but maybe it is how the evolution proceeds. Maybe that, too, is part of our century. Everything now, not just culture, is taken out of context ", David BYRNE, (ex-Talking Heads) " The Sunday Times ", (supplément 'Culture'), 31 juillet 1994, p. 12.

65 Cette structure avait vu le jour en 1987. A titre de comparaison, l'association bretonne Dastum dont le but est également le collectage des chansons, récits, etc. en Bretagne, naquit en 1972.

66 Voir à ce propos la série télévisée de Philip KING & Donal LUNNY, Bringing It All Back Home, Hummingbird Production pour BBC Northern Ireland & RTE, 1991, et plus spécifiquement les deux premiers volets (" The Wild Rovers " et " No Frontiers "). La série est accompagnée de l'ouvrage de Nuala O'CONNOR, Bringing It All Back Home, op. cit. 176 p.

67 Le premier groupe de John Lennon et Paul McCartney, The Quarrymen, était un groupe de Skiffle.

68 " An interpersonal orally-transmitted music that has been out in the world, has been effected by the world, has come back and has begun to turn full circle again ", Tony CLAYTON-LEA & Richie TAYLOR, Irish Rock, Londres, Sidgwick & Jackson, 1992, p. 40.

69 " Why Celtic music ? And why now ? 'Record listeners over 30 want to broaden their horizons, but they don't want to listen to the same stuff they heard when they were growing up,' explains Atlantic Records co-chairman Val Azzoli, (...) who recently created a sublabel named Celtic Heartbeat to showcase Ireland's rising stars ". Michael WALSH, " Emerald Magic " Time Magazine, 11 mars 1996, p. 55.

70 Il est d'ailleurs frappant de constater que, si la BBC Northern Ireland et Ulster TV sont aisément reçues dans les comtés du Nord de la République, la zone de diffusion de RTE ne couvre pas l'Irlande du Nord.

71 voir Gerry MORIARTY, 'MacGill Summer School - Rivers of Dissent', The Irish Times, 15 août 1995, p. 6.

72 Jean-Claude BURGELMAN & Caroline PAUWELS, " La Politique Audiovisuelle et l'Identité Culturelle des Petits Etats Européens ", MédiasPouvoirs, N°20, 3e trimestre 1990, p. 107.

73 Marshal McLUHAN, Pour comprendre les média, Paris, Seuil, 1968, (Understanding Mass Media, 1964, trad. de J. Paré), p. 324.

74 Bertolt BRECHT cité par Pascal GRISET, Les Révolutions de la Communication, XIXe-XXe Siècles, Paris, Hachette Supérieur, 1991, p. 21.

75 Voir en annexe les adresses de sites et de forums de discussion les plus fréquentés.

76 " If you kill a race, or a tribe, you kill its music as well. And no matter how much film you have in the can, or videotape, or recordings of the music, all you're left with is actually a product. What you've killed in killing the people is the process of music-making. And I think this more important than the product ". Mícheál Ó Súilleabháin, interview pour Bringing It All Back Home, op. cit., 1991, troisième partie, " The Strain of the Dance ".

77 Voir BREATHNACH, " Traditional Music ", op. cit., 1968, p. 304 à 307.

78 D'après Marc EPSTEIN, L'Irlande, Paris, Hachette, 1996, p. 64.

79 " Arts activity helps to bring visitors and tourists to Ireland ". C'est d'ailleurs à cette proposition que les 1200 personnes interrogées ont répondu le plus massivement par l'affirmative. Voir les résultats complets dans l'ouvrage collectif, The Public and the Arts - A Survey in Behaviour and Attitudes in Ireland, op. cit., 1994, p. 72.

80 " Folk music revival always seems to be happening ; in fact folk music never goes away : it just requires a new definition every decade or so ". Donal CLARKE (dir.), The Penguin Encyclopedia of Popular Music, Londres, Penguin Books, 1990 (1ère éd. 1989, Viking), p. 423a.

81 Voir Alex MUCCHIELLI, L'Identité, Paris, Presses Universitaires de France, 1992 (1ère éd. 1986), 118 p.

82 L'ouvrage collectif, L'Identité de la Harpe Celtique, Côtes d'Armor, C.R.I.H.-A.D.D.M., 1994 , 87 p. se présente d'ailleurs comme une " recherche d'une identité de la harpe celtique ", p. 7.

83 Onze pays étaient représentés aux Xe Rencontres Internationales de la Harpe Celtique de Dinan, en 1993. Voir COLLECTIF, L'Identité de la Harpe Celtique, op. cit.., 1994 , p. 25.

84 Pierre BONTE et Michel IZARD, Dictionnaire de l'Ethnologie et de l'Anthropologie, op. cit., p. 711.

85 Boris CYRULNIK, Les Nourritures Affectives, Paris, Odile Jacob, 1993, p. 199-200. Bien que le fait ne soit pas pertinent, la citation n'est pas tout à fait exacte et pourrait être avantageusement remplacée dans notre contexte par " After the man in question and his family had gone off to America, my father settled up his own land and my people then moved north to Ventry. They were only six months there when I was born " Peig SAYERS, Peig, Dublin, Talbot, 1974, p. 14.

86 Gérard LENCLUD, " La Tradition n'est plus ce qu'elle était ", Terrains, 9 octobre 1987, p. 118.

87 Alex MUCCHIELLI, L'Identité, op. cit., 1992 (1ère éd. 1986), p. 91.

88 Le plus bel exemple inconscient de cette maturité nous est fourni par le disque récent du duo Lá Lugh (Gerry O'Connor et Eithne Ní Uallacháin, " Brighid's Kiss ", LUGCD961), dans le texte N°6, expliquant les modifications apportées à un grand classique " En retravaillant une vieille chanson 'Níl sé 'na lá', ou 'Il n'est pas encore temps', l'idée de cette chanson nous est venue à l'esprit. La chanson est ainsi devenue 'Tá sé 'na lá', ..... Il est temps, temps que beaucoup de choses changent ". (" While reworking an old song 'Níl sé 'na lá' or 'It is not yet day', the sentiments of this song came to mind. The song thus evolved to 'Tá sé 'na lá', ...... It is the day, the time for many changes ").