II - Un univers de musiciens

(2e partie - B)

- Les Intermédiaires

- Musique et religion note 40

Comme nous l'avons vu dans notre première partie, la religion est sans aucun doute à l'origine du fait musical, en Irlande comme ailleurs.

Ainsi, la principale divinité de la mythologie irlandaise, le Dagda, était-il le détenteur de la harpe magique dans laquelle étaient présentes toutes les mélodies :

Lug, le Dagda et Ogme allèrent cependant à la poursuite des Fomoire qui avaient emmené avec eux le harpeur du Dagda, dont le nom était Uaitne. Ils atteignirent la maison du banquet (...). La harpe était là, accrochée au mur. C'était dans cette harpe que le Dagda avait lié toutes les mélodies et elles ne retentirent pas avant que le Dagda, par son appel, ne les ait nommées (...). note 41
Du point de vue social, la classe sacerdotale - selon la tripartition fonctionnelle des sociétés indo-européennes mise en évidence par Georges Dumézil, comprenait elle-même trois branches, subdivisées en différentes catégories. C'est dans l'une de ces catégories que peut être classé le cruitire, le harpeur de cour. Son importance dans la société irlandaise médiévale était certaine, allant parfois jusqu'à prendre le pas sur celle du roi dont il était le protégé.

En ce qui concerne la période médiévale, les sources se font beaucoup plus rares, et l'on ne peut que supposer l'existence d'une forme particulière à l'Irlande de chant en latin avant le douzième siècle, avec l'arrivée dans l'île de la réforme grégorienne affirmant la primauté romaine. En effet, depuis St Grégoire le Grand (540-604), l'Eglise Catholique Romaine semble avoir du mal à accepter que la musique puisse sortir de son giron et de son influence. C'est en effet à ce pape qu'est généralement attribuée la paternité du chant grégorien, volontairement moins sensuel que celui pratiqué auparavant, sans doute davantage influencé par les musiques du Moyen-Orient et par le chant byzantin, plus mélismatique. Ce n'est qu'à partir du XVIIIe siècle que l'on peut établir avec certitude l'existence de chants religieux écrits par des poètes connus, mais l'ensemble reste extrêmement discret pour des raisons évidentes liées cette fois-ci à l'influence de la Réforme du XVIe siècle et à la répression du catholicisme à partir de cette période note 42.

Davantage encore que le chant, la danse semble avoir souffert des foudres de la hiérarchie catholique et de ses représentants dans les villages irlandais. Les exemples sont fort nombreux de prêtres faisant irruption en pleine effervescence d'une soirée de danse entre amis, fustigeant tous les présents et brisant les instruments. De tels récits figurent effectivement dans bon nombre de romans et, surtout, dans toutes les autobiographies du début du siècle note 43. Cela n'est cependant pas l'apanage de la seule Irlande, et de tels faits sont également relatés à propos d'autres régions du monde particulièrement catholiques, certaines régions de Bretagne n'ayant, par exemple, pas été épargnées par ces foudres puritaines. Le sujet fut considéré à ce point important par le collecteur Francis O'Neill qu'il décida de lui consacrer un petit chapitre de son ouvrage Irish Minstrels and Musicians pour démontrer l'innocence de telles soirées, expliquant :

Pour beaucoup, la danse ne semble être qu'une futile perte de temps et d'énergie, tandis que d'autres la considèrent simplement comme une exhibition puérile tolérée. Pour le puritain et le collet monté, sa pratique est un vice, et c'est cette attitude qui opéra un aussi profond bouleversement dans les pratiques sociales en Irlande durant la dernière moitié du XIXe siècle. (...) De tels passe-temps n'ont jamais empêché les Irlandais de faire leurs dévotions car, avant la réforme, seules les heures du service divin étaient sacrées, et le reste de la journée 'pouvait être passée à se divertir si les gens le souhaitaient (...)'. note 44.

Mais cette attitude de dénigrement face à une simple activité populaire persista bien après la publication de ces quelques lignes, et l'on trouve encore en 1927 l'opinion de l'Eglise Catholique exprimée ainsi par la voie hiérarchique :

Ces derniers temps ont vu, entre autres choses déplaisantes, un relâchement de l'autorité parentale, un irrespect pour la discipline en famille, et une impatience générale sous la contrainte qui pousse les jeunes gens à négliger les droits sacrés de l'autorité et à emprunter des voies bien capricieuses. (...) Le malin lance éternellement ses filets sous les pieds imprudents. En ce moment, les innocents sont essentiellement victimes de la salle de bal, du mauvais livre, de la revue indécente, du film, de la mode féminine impudique - et de tout ce qui tend à anéantir les vertus caractéristiques de notre race. note 45
Effectivement, la grande mode du jazz venue d'Amérique menaçait la pureté intellectuelle et culturelle de l'Irlande, et la solution idéale trouvée par l'Eglise fut de prendre en charge elle-même la gestion de ces dance-halls, grâce à une vaste campagne menée au début des années trente et qui vit la promulgation en 1935 de la loi intitulée Dance Hall Act (voir page 230). C'est cependant parce que cette loi était pratiquement impossible à appliquer que certains représentants de l'Eglise continuèrent à sillonner les campagnes à la recherche des dernières soirées informelles susceptibles de provoquer leur courroux note 46.

Sur un plan beaucoup plus positif, signalons l'influence du Concile Vatican II, qui autorisa à partir de 1964 l'utilisation de la langue vernaculaire pour la messe parlée et chantée note 47. C'est donc à partir de cette date qu'apparurent des messes chantées en gaélique, et Seán Ó Riada saisit cette occasion pour composer trois messes en irlandais mêlant sean-nós et plain-chant. Son but était évidemment de réhabituer les oreilles irlandaises à un langage musical propre au pays, et sa messe choisie par le clergé catholique pour la liturgie irlandaise n'a jamais été remplacée. Il est cependant notoire qu'il n'existe pas de mélodie reconnue pour chanter le 'Notre Père' ou le 'Je vous Salue Marie' en gaélique.

- Les collecteurs.

La tradition orale voudrait que la musique ne soit transmise que directement d'un musicien à un autre ; tel n'est plus le cas depuis plusieurs décennies, ce qui ne va pas sans poser de nombreux problèmes que nous exposerons ici à propos des principales " collections ". L'habitude voudrait également que l'on ne considère que les 'collecteurs', célèbres ou non, ayant compilé par écrit des airs et mélodies, mais il nous faudra également étudier l'apport plus récent des collections enregistrées, de plus en plus nombreuses depuis le début du XXe siècle.

On distinguera, parmi les collections écrites, les ouvrages d'amateurs ou d'érudits passionnés (s'adressant plus particulièrement à un public lettré ou intellectuel) de ceux, généralement plus proches des mélodies d'origine, rédigés par des musiciens traditionnels. Une troisième catégorie, moins importante quantitativement, s'est développée au XXe siècle : les collections réunies par des musiciens pour leurs élèves, souvent dans un système de notation personnel. La très grande majorité des auteurs d'ouvrages sur l'histoire de la musique traditionnelle irlandaise insistent sur le rôle essentiel des collecteurs dans sa survie. Ils omettent pourtant constamment de noter que ces tenants d'un patriotisme culturel étaient tous anglo-irlandais note 48.

Il est vraisemblable que de nombreux airs irlandais se sont frayé un chemin dans la société anglaise dès le XVIe siècle, voire avant cette période. La toute première référence à une mélodie irlandaise et à son texte gaélique figure en effet dans le livre pour luth de William Ballet, probablement antérieur à 1600 ; il s'agit d'un air intitulé " Callino Casturame " que l'on retrouve dans le Fitzwilliam Virginal Book. Mais la plus intéressante de toutes ces références parallèles se trouve sans conteste dans la pièce de Shakespeare datant de 1599, Henri V ; voici un extrait du texte d'origine :

Pistol : Yield, cur !
Soldat Français : Je pense que vous estes le gentilhomme de bonne qualité.
Pistol : Quality ! Callino, castore me ! (...) note 49
Des générations d'érudits se sont penchées sur cette dernière phrase (en particulier Edmond Malone au XVIIIe siècle) et plusieurs gaélophones ont donné leur avis sur sa signification. Il s'agirait de la prononciation approximative du refrain d'une chanson en gaélique publiée dans une collection anglaise quelques années auparavant : " Caílín ó Chois tSiúre mé ", signifie " Je suis une fille des rives de la (rivière) Suir ". La mélodie est d'ailleurs une variante d'un thème musical ayant pris et gardé par la suite le nom de " The Croppy Boy ". note 50

Le XVIIe siècle voit donc la continuité d'un mouvement qui ne prendra de véritable ampleur qu'au siècle suivant. De nombreux airs irlandais apparaissent tout d'abord dans des collections anglaises (The Dancing Master de John Playford en 1676 et, plus tard, les sept volumes de Pills to Purge Melancholy de Thomas D'Urfey [ou Tom Durfey] publiés entre 1719 et 1720). Beaucoup de ces airs sont publiés à Londres au sein de collections plus générales comportant des airs écossais ou anglais ; dans le cas des chansons, des textes anglais originaux sont toujours substitués aux paroles gaéliques par les collecteurs et, sauf cas exceptionnel, on ne connaît malheureusement pas les paroles originales.

L'opéra prend par la suite le relais de cet intérêt pour les mélodies irlandaises. Vers 1728, Charles Coffey compose le Beggar's Wedding (sur le modèle du Beggar's Opera, c'est-à-dire L'Opéra des Gueux de John Gay [1685-1732]), uniquement avec des airs irlandais, dont certaines premières versions connues (" Eileen Arroon ", " Cruskeen Lawn "). Entre 1728 et 1730, Daniel Wright compose son Aria di Camera empruntant quelques airs aux frères Neale (voir paragraphe suivant), ainsi que des airs anglais et écossais. En 1782, le compositeur anglais William Shield, avec l'aide de son librettiste John O'Keefe (originaire de Dublin) compose The Poor Soldier où la plupart des airs sont irlandais.

Mais la toute première collection uniquement composée d'airs irlandais est due à deux frères, John et William Neale (parfois Neill, voire O'Neill) : A Collection of the Most Celebrated Irish Airs paraît à Dublin en 1724, selon les recherches les plus récentes de Nicholas Carolan. Ils publient également en 1726 leurs propres airs, A Choice Collection of Country Dances; c'est d'ailleurs dans le 'Musick Hall' qu'ils firent construire en 1741 dans Fishamble Street qu'eut lieu la première représentation du Messie de Händel, le 13 avril 1742. note 51

Entre 1742 et 1745, le flûtiste irlandais Burk Thumoth publie deux recueils, tandis que J. Oswald fait paraître une série de douze volumes entre 1742 et 1764 intitulée Caledonian Pocket Companion. Les années 1780 laissent percevoir un net frémissement dans l'intérêt pour la musique irlandaise, et John Lee publie une première collection en 1774 (une Collection of O'Carolan's Tunes parue en 1780 pourrait être son oeuvre ou celle d'un homonyme), tandis qu'en 1786 paraîtra Historical Memoirs of the Irish Bards de Joseph Walker, ouvrage qui marquera son époque.

Mais la véritable prise de conscience des trésors 'nationaux' se produisit à la fin du XVIIIe siècle ; outre les quelques publications de l'époque, A Curious Selection of Fifty Irish Airs de Brysson, à Edimbourg vers 1790, et une " Selection of 21 Favourite Original Irish Airs " par Cooke à Dublin en 1793, c'est en 1791 que fut fondée par Theobald Wolfe Tone la Society of United Irishmen, prenant comme emblème la harpe et comme devise " Recordée, elle se fera entendre ". Quelques années auparavant, la ville de Granard de 1784 à 1786 avait accueilli les premiers festivals de harpe (voir pages 33-34), bientôt suivis par le célèbre rassemblement de Belfast en 1792.

C'est à l'occasion de ce dernier rassemblement que fut confié au jeune Edward Bunting (Co. Armagh 1773-1843) la tâche d'écrire les airs joués par les dix harpeurs réunis les 11, 12 et 13 juillet 1792 (voir page 201). Bunting se prit de passion pour cette musique et n'eut de cesse d'en collecter dans toute l'Irlande et auprès de tous les harpeurs qu'il lui était donné de rencontrer. Comme ceux qui poursuivirent son oeuvre par la suite, et comme tous les ardents explorateurs de l'identité irlandaise, Bunting était anglo-irlandais.

Edward Bunting est ainsi considéré comme le premier collecteur à avoir transcrit directement les mélodies et le jeu de musiciens en action et l'ensemble de son oeuvre constitue aujourd'hui l'essentiel de nos connaissances sur les techniques des harpeurs du XVIIIe siècle. Plusieurs des airs notés ces jours-là seront d'ailleurs discrètement repris par un certain Thomas Moore pour le premier volume de ses Irish Melodies publiées de 1808 à 1834, et célébrées dans le monde entier dans des versions édulcorées qui, à chaque génération, conquirent le coeur des plus romantiques, de Hector Berlioz à William B. Yeats.

Le premier volume du jeune Edward Bunting, Ancient Music of Ireland, paraît donc en 1796 et comporte 66 airs transcrits pendant les compétitions de Belfast quatre années auparavant. Il décide alors de se lancer en 1802 dans une véritable 'tournée' de collectage dans les provinces du Connaught (à l'ouest) et du Munster (au sud-ouest). Il sera cette fois le premier à compléter quelques partitions par les paroles d'origine des chants, avec l'aide d'un gaélophone, Patrick Lynch. Un deuxième volume comportant 77 airs paraîtra en 1809 : mais pris par les usages de l'époque, il présente vingt airs traditionnels accompagnés de paroles composées par quelques amis 'poètes' (dont Thomas Campbell). Il s'installe alors à Dublin, devient organiste de l'église St George et semble cesser toute activité de collectage ; un troisième et dernier volume paraîtra malgré tout en 1840, essentiellement composé de matériau collecté avant 1809.

Il va sans dire que de telles notations écrites étaient pour la plupart dépourvues des ornementations complexes dont les musiciens agrémentaient toujours leurs prestations; en outre, la récente popularisation par Johann Sebastian Bach (1685-1750) d'une gamme dite 'tempérée' conçue par A. Werckmeister (1645-1706) gommait partiellement les particularités des musiques fondées sur la gamme 'naturelle', dont la musique traditionnelle irlandaise. L'habitude était donc courante à cette époque de modifier et d'arranger les mélodies pour les adapter aux tonalités de la musique classique : certaines des mélodies sont ainsi écrites dans des tonalités inutilisables par les harpeurs que côtoyait Bunting. Mais cette approche de la musique traditionnelle n'est peut-être pas aussi déplacée que l'on pourrait le croire : les musiciens ont toujours raisonné de la sorte, adaptant les mélodies à leur époque, à leurs humeurs et à leurs goûts.

Un mystérieux professeur de musique nommé O'Farrell (prénom inconnu) et originaire de Clonmel publie à Londres entre 1797 et 1810 plusieurs volumes d'airs irlandais destinés à l'apprentissage du uilleann pipes (ou union pipes, selon la terminologie en vigueur jusqu'au début du XXe siècle). Les deux principaux sont O'Farrell's Collection of National Irish Music for the Union Pipes, et O'Farrell's Pocket Companion for the Irish or Union Pipes qui comporte, parmi 300 airs, la première version connue de " The Fox Chase " (voir pages 88 et 148). Cette publication constitue un véritable événement car O'Farrell lui-même musicien traditionnel et professeur de cornemuse irlandaise, et sa vision est radicalement différente de celle des collecteurs issus des milieux aisés de Dublin : il s'agit là du premier ouvrage rédigé par un musicien pour des musiciens.

Entre 1840 et 1850, William Forde, de Cork, collecte près de deux mille airs qui restent à ce jour inédits, bien que de nombreux éditeurs aient été intéressés par ce travail. A la même époque, Henry Hudson tente au travers du magazine The Citizen (1840-41), puis du Dublin Monthly Magazine de partager ses collectes, qui n'ont jamais été publiées en recueil. Dans le même esprit, et comme nous l'avons déjà souligné à plusieurs reprises, Thomas Davis, co-fondateur du journal The Nation, demande à ses lecteurs de composer de nouvelles ballades sur des thèmes musicaux connus : les résultats dépassent ses espérances et l'on assiste au renouveau de la ballade patriotique entre 1842 et 1848, mais principalement dans la première moitié de cette période. On pourra également trouver les traces de ce renouveau dans le collectage de John Edward Pigot, membre du mouvement Jeune Irlande et de la Society for the Preservation and Publication of the Melodies of Ireland, qui s'intéressa particulièrement au nationalisme culturel, mais dont les manuscrits restèrent sans suite jusqu'à leur publication en 1909 par P.W. Joyce (vide infra).

En 1851 fut fondée La Society for the Preservation and Publication of the Melodies of Ireland sous l'impulsion de George Petrie (1789/1866). Ingénieur des Ordnance Survey (l'Office de Cartographie), il avait l'occasion de parcourir la campagne irlandaise, mais malgré tous ses efforts et les espoirs exprimés par sa Society, seul un volume de 147 airs de ses Ancient Music of Ireland fut publié de son vivant, en 1855 ; un autre volume de 39 airs suivit en 1882, seize ans après sa mort. Francis Hoffman publia également deux cents de ses mélodies arrangées pour piano sous le titre Selection from Petrie en 1877. Il fallut attendre le début du XXe siècle pour voir l'ensemble des manuscrits de Petrie, soit 2148 airs, confié à Sir Charles Stanford qui publia 1582 d'entre eux sous le titre de The Complete Petrie Collection entre 1902 et 1905. Petrie, comme Stanford et Bunting, n'était malheureusement pas un musicien traditionnel et arrangea lui aussi les mélodies selon l'air du temps.

Le violoniste R.M. Levey (de son vrai nom O'Shaughnessy, Dublin 1811-1903), fut l'un des rares musiciens classiques amoureux de la musique traditionnelle et collecta 100 mélodies publiées à Londres entre 1858 et 1873. Professeur du compositeur William Stanford, il est, grâce à ces publications, l'auteur de la première collection uniquement consacrée à la musique de danse, généralement peu étudiée par les collecteurs puisque ne permettant pas l'adaptation de nouvelles paroles, tandis que James Goodman, originaire du Kerry, est pour sa part le premier gaélophone à avoir collecté, en particulier auprès d'un ami uilleann piper (un certain Kennedy), essentiellement entre 1860 et 1866.

Cette passion transmise de Bunting à Petrie fut perpétuée par de jeunes collecteurs tels que Patrick Weston Joyce du comté de Limerick (1827-1914). Lui-même collecteur depuis son adolescence, il avait offert un grand nombre des airs rassemblés à Petrie puis, après la mort de ce dernier en 1866, s'était décidé à publier lui-même quatre volumes : tout d'abord Ancient Irish Airs en 1873, contenant 100 mélodies ; puis deux petits volumes, Irish Music and Song et Irish Peasant Songs. Enfin, en 1909, son oeuvre principale Old Irish Folk Music and Songs contenant 842 airs, dont certains d'origine écossaise ou anglaise. Généralement plus proche de la mélodie que ses prédécesseurs, il pécha néanmoins par son inclination à altérer les paroles, parfois même remplacées par des vers de son frère. Cette tendance, qu'elle soit du XIXe siècle ou d'aujourd'hui, est sans doute l'un des éléments nuisant le plus à la culture populaire, la dénaturant sans volonté de la desservir mais sans véritablement la comprendre. note 52

De 1923 à 1946, fut publiée dans le journal The Northern Constitution de Coleraine, une série aujourd'hui appelée la Sam Henry Collection, du nom de son collecteur. Mais le plus grand des compilateurs de collections écrites aux yeux des musiciens actuels, bien qu'il ait été fort critiqué de son vivant, fut un Irlandais émigré aux Etats-Unis. Originaire du comté de Cork et arrivé à New York à l'âge de 17 ans, Francis O'Neill (Bantry 1849 - Chicago 1936) fut longtemps considéré par les professionnels de la recherche musicale comme un aimable amateur manquant de la rigueur universitaire dont pouvaient se targuer ses prédécesseurs. Sa première compilation, The Music of Ireland, publiée en 1903 avait effectivement été réalisée de manière simpliste avec l'aide de James O'Neill, un collègue sachant écrire la musique. Elle contenait pourtant 1850 morceaux de musique et eut un vif succès aux Etats-Unis, où le capitaine Francis O'Neill était devenu chef de la police de Chicago. Il décida par la suite, et en raison d'une constante demande, de rééditer les airs de danses contenus dans le premier volume ; The Dance Music of Ireland publié en 1907 est aujourd'hui considéré par la plupart des musiciens irlandais comme la 'Bible' de tout musicien traditionnel. Il publia également le résultat de ses recherches dans Irish Folk Music, a Fascinating Hobby (1910) et Irish Minstrels & Musicians (1913), ainsi que deux petites collections : Irish Music et Waifs & Straifs of Gaelic Melody.

Les Etats-Unis constituent donc aujourd'hui une part importante des ressources en matière de musique traditionnelle irlandaise : la Bibliothèque du Congrès Américain (Library of Congress), créée en 1800 et basée à Washington D.C., détient, parmi ses 88 millions de documents, une grande quantité de manuscrits et d'enregistrements de musique irlandaise réalisés par des chercheurs (en particulier depuis la fin du XIXe siècle) et maintenant réunis au sein du American Folklife Center.

Au XXe siècle, les collections importantes se font beaucoup plus rares et nous ne pourrons citer comme oeuvres d'envergure que les trois tomes de Ceol Rince na hÉireann publiés par Breandán Breathnach, ainsi que les deux volumes des Irish Street Ballads de Colm Ó Lochlainn. Les publications de matériaux inédits sont également exceptionnelles aujourd'hui, et nous citerons à titre d'exemple le récent ouvrage de Pádraig Ó Braoin Liam de Noraidh, Cill Úird qui rassemble l'essentiel des collectages effectués au début du XXe siècle par Liam de Noraidh. Ríonach Uí Ógáin et Tom Munnelly sont parmi les seuls, avec certains animateurs de radio cités plus loin, à continuer ce travail de collectage dans l'ouest de l'Irlande. Il semble donc que les collections manuscrites et imprimées importantes s'arrêtent à l'apparition des techniques modernes d'enregistrement. Cette remarque débouche en fait sur deux notions essentielles. Le premier problème concernant la notation écrite est simple : à moins de présenter une partition fortement surchargée, aucun musicien ne pourra restituer, pour une mélodie donnée, l'ensemble de ses ornementations, qui constituent pourtant un trait essentiel de la musique traditionnelle irlandaise. On rejoint ici un problème que connaissent bien les musiciens baroques, et qui provoque encore aujourd'hui des discussions enflammées. De la même manière, imaginerait-on sérieusement de noter toutes les ornementations d'un flamenco ?

On constate, en second lieu, que de nombreux apprentis-musiciens (en Irlande et, surtout, hors d'Irlande) passent des heures devant leurs partitions, croyant bien faire lorsqu'ils jouent les bonnes notes au bon moment. Mais la musique irlandaise ne se résume pas à des points entre des lignes, et seule la pratique entre amis peut mener à l'indicible, prouvant une fois encore, si cela était nécessaire, que la musique traditionnelle irlandaise n'est que la façade d'un monde en perpétuel mouvement qui ne saurait être fixé, fût-ce avec un appareil photo, une caméra, un magnétophone ou un stylo.

- Les associations

Après l'engouement soudain suscité par le collectage massif de mélodies, un certain nombre d'irlandais décidèrent de se regrouper afin de poursuivre et de prolonger l'action des collecteurs et de favoriser le développement des diverses facettes de la musique traditionnelle irlandaise : ainsi naquirent les diverses associations ayant pour objet la promotion de cette musique.

En Irlande comme ailleurs deux types d'associations existent à deux niveaux différents : les associations locales sont en général plus récentes et ont d'ordinaire un but plus précis et plus limité, perpétuant le plus souvent le souvenir d'un musicien au travers d'un festival. Les associations nationales (voire internationales) sont pour la plupart les fruits du renouveau gaélique de la fin du XIXe siècle et de l'indépendance de 1922.

Les premières sont extrêmement nombreuses et nous n'essaierons pas ici de les recenser. A titre d'exemple, les festivals annuels organisés en septembre par la Coleman's Society à Gurteen (comté de Sligo) et la Carolan's Society à Nobber (comté de Meath) ont un double rôle : au premier chef, ils perpétuent le souvenir du fiddler Michael Coleman et du harpeur Turlough O'Carolan, prouvant ainsi à quel point la musique traditionnelle irlandaise est fortement ancrée dans l'univers quotidien des Irlandais. Mais ils constituent également un apport non négligeable en termes touristiques, mettant en valeur une région et sa culture ; ce dernier point n'est pas anodin, et les Irlandais prennent peu à peu conscience du fait que la musique peut constituer l'un des principaux fondements économiques de leur société. De ce fait, le tourisme du premier type, développé à partir des années cinquante essentiellement fondé sur les paysages et sur les richesses architecturales ou littéraires passées, se trouve peu à peu enrichi par des apports culturels plus récents et à forte valeur économique locale.

La plus importante de ces manifestations par son ampleur et son retentissement a lieu chaque année en juillet à Miltown Malbay, dans le comté de Clare, depuis la mort de son citoyen le plus célèbre : c'est la Willie Clancy Summer School, surnommée Willie Week. Pendant une semaine, concerts et conférences, ateliers et sessions se succèdent dans la ville de l'éminent uilleann piper décédé en 1973 ; mais si un tel événement attire les meilleurs musiciens d'Irlande et crée un irremplaçable forum d'échanges, un séjour sur place vous confirmera qu'il attire encore davantage de touristes que de musiciens, ce qui n'a rien d'étonnant ni de néfaste.

La deuxième catégorie concerne les associations au niveau national, la plus importante d'entre elles étant sans nul doute la Ligue Gaélique note 53 (Conradh na Gaeilge ou Gaelic League) fondée le 31 juillet 1893 sous la houlette de Eoin McNeill et de Douglas Hyde, qui devint en 1938 le premier président de l'Irlande. Nous l'avons vu, elle constitue l'un des meilleurs exemples de ce regain d'intérêt pour la langue qui apparut au XIXe siècle, et son but premier était essentiellement de redonner confiance aux Irlandais. La musique et la danse furent également utilisées dans des festivals, les Feis Cheoil (ou 'Fêtes de Musique'), ou le grand rassemblement annuel du Oireachtas, bien que la Ligue Gaélique soit rarement associée à la musique dans l'esprit des Irlandais. Mais il ne fait aucun doute pour la majorité d'entre eux que, dans sa recherche d'une identité irlandaise, la Ligue Gaélique suscita ce mouvement de reconquête de la confiance perdue qui, par la suite, profita de manière plus directe à la musique. Seule ombre au tableau cependant, la recherche d'une pureté culturelle idéale l'emporta parfois, et le caractère normatif des définitions partisanes prit le pas sur la simple visée descriptive d'éléments musicaux. Mais le succès de la Ligue Gaélique ne resta pas confiné aux classes favorisées de la population, contrairement à ce qui s'était souvent produit jusqu'à cette période pour ses prédécesseurs. Il faut également mettre à l'actif de la Ligue Gaélique la création en 1897 à Londres des grands Céilídhe, ces soirées de danse en groupe qui connurent leur apogée dans les années quarante et cinquante et relancèrent de ce fait la mode de la danse dans un contexte irlandais (voir page 223). On constatera cependant que le nombre de sections de la Ligue Gaélique, après une forte poussée durant la première décennie (227 sections en 1901, 600 en 1904 et jusqu'à 819 en 1922), connut un fort déclin dès l'accession à l'indépendance avec seulement 139 sections en 1924 note 54.

En grande partie sous l'influence de la Ligue Gaélique fut fondé à Cork par William Phair et Seán Wayland le Cork Pipers' Club en 1898, absolument unique en son genre à l'époque. Tombé en désuétude, le uilleann pipes n'attirait plus les musiciens et il fallut convaincre d'anciens instrumentistes de retrouver le chemin du chalumeau et des régulateurs : parmi eux Robert Thomson ou Shane O'Neill. Deux ans plus tard les uilleann pipers de Dublin décidèrent à leur tour de se constituer en club, le Cumann na bPíobairí ('Association des Sonneurs de Cornemuse'), dont l'un des fondateurs se nommait Eamon Ceannt, futur leader de la rébellion de 1916.

Bien qu'en apparence restreints à l'intérêt unique des uilleann pipers, ces clubs n'en représentent pas moins l'une des facettes essentielles de la transmission du savoir d'une génération à l'autre pour l'ensemble de la musique traditionnelle irlandaise. Sans ceux-ci, des mélodies aujourd'hui célèbres ou des savoirs aussi essentiels que la fabrication des anches auraient pu être irrémédiablement perdus. En outre, et bien que ces deux clubs se soient éteints respectivement en 1930 et 1926 pour diverses raisons, ils n'en demeurent pas moins représentatifs de l'une des phases essentielles de la musique irlandaise à laquelle nous avons déjà fait allusion auparavant : l'urbanisation de la tradition musicale, annonciatrice des grandes tendances des années soixante-dix et de son adaptation à un nouveau contexte mondial, essentiellement citadin.

Les Pipers' Clubs ne disparurent cependant pas totalement d'Irlande car en 1934 fut fondé Na Píobairí Uilleann par Seán Reid, Tommy Reck, Jim Seery et le célèbre Leo Rowsome, qui fut élu premier président de l'association qui, malgré quelques éclipses, existe encore aujourd'hui (vide infra).

Vraisemblablement concernés par le fait culturel musical, les milieux politiques subventionnèrent dès 1930 la Folklore of Ireland Society (fondée en 1926) qui devint alors le Irish Folklore Institute, puis en 1935 la Irish Folklore Commission. Enfin, celle-ci fut admise au sein de University College Dublin (U.C.D.) en 1971 sous le nom de Department of Irish Folklore. Bien qu'extrêmement active, sa principale richesse reste constituée par les collectages effectués entre 1940 et 1947 par Liam de Noraidh dans le Munster et Séamus Ennis dans le Connaught et l'Ulster ; l'ensemble compte une centaine d'airs de danse et environ 1000 chansons en gaélique ; à cela s'ajoutent les paroles de milliers de chansons collectées depuis quelques décennies par ce département universitaire dont fait également partie la Irish Folklore Society. Le but de cette dernière est également de collecter toute forme de culture traditionnelle et de développer l'intérêt du public pour ses travaux à travers son journal annuel Béaloideas. Toutes ces collections sont consultables à la Bibliothèque de University College Dublin.

De leur côté, quelques membres du Pipers' Club de Dublin ressuscité (le Conradh na bPíobairí) décidèrent, le 4 février 1951 dans le Midland Hotel de Mullingar, d'organiser une grande fête musicale annuelle rassemblant l'ensemble des musiciens traditionnels irlandais durant le week-end de Pentecôte, en mai de la même année. La fête, intitulée Fleadh, eut également lieu à Mullingar sous la présidence du uilleann piper Leo Rowsome. L'association, alors appelée Cumann Ceoltóroí na hÉireann ('Association des Musiciens d'Irlande'), se réunit pour la première fois de manière formelle le 14 octobre 1951 dans la demeure appelée Arus Ceantt (en l'honneur de Thomas Ceantt), Thomas Street, Dublin, afin d'élire ses premiers représentants. Elle devint, le 6 janvier 1952 au St Mary's Hall de Mullingar, Comhaltas Ceoltóirí Éireann ('Association [ou 'Confrérie] des Musiciens d'Irlande'), aujourd'hui considérée comme l'élément déterminant du renouveau de la musique irlandaise, bien que ses effets ne se soient pas fait sentir directement avant les années soixante-dix. Il fallut tout d'abord attendre 1956 pour que l'événement musical annuel révèle les premiers signes d'un véritable engouement national, lors du Fleadh de Ennis. Depuis lors, les Fleadhanna se succèdent immanquablement, chacun apportant une nouvelle pierre et quelques nouveautés à l'édifice. Ainsi, des compétitions locales furent rapidement nécessaires pour sélectionner les meilleurs représentants locaux, tant le nombre de candidats augmentait ; on en compte une quarantaine aujourd'hui, essentiellement en Irlande (au nord, comme dans la République), mais également en Angleterre et aux Etats-Unis. On tenta également de relancer l'intérêt de tous les Irlandais, même les plus défavorisés, pour la musique irlandaise, en créant des compétitions pour les instruments les plus populaires, comme le tin-whistle ou l'harmonica, au risque, dans le dernier cas, de mécontenter quelques puristes. Dans le même esprit de développement fut également ouverte une compétition de whistling, ou l'on se contente de siffler les airs et mélodies d'Irlande, ce qui est encore moins onéreux. Aujourd'hui le Comhaltas Ceoltóirí Éireann compte près de 500 branches de par le monde (dont plus d'une centaine hors d'Irlande), et organise de très nombreuses tournées pour les vainqueurs des compétitions afin de témoigner de la vitalité de la musique et de la danse en Irlande, tout en accordant une place toute particulière à la langue gaélique. Mais ces compétitions ne sont pas les seuls moyens d'action du Comhaltas Ceoltóirí Éireann en faveur de cette composante de la vie irlandaise. L'association compte également des archives nationales (disponibles au Cultúrlann na hÉireann, l'Institut Culturel Irlandais), et un magazine ('Treoir') publié depuis 1967. Elle tente également depuis 1995 une entrée dans le monde virtuel du World Wide Web, nouvelle vitrine commerciale et 'grand public' du réseau Internet note 55.

Difficile de comprendre, dans ces conditions, qu'une quelconque hostilité puisse régner à l'égard du Comhaltas Ceoltóirí Éireann. Et pourtant, elle existe bel et bien chez un grand nombre de musiciens aujourd'hui.

En effet, le Comhaltas Ceoltóirí Éireann est loin de faire l'unanimité parmi les musiciens d'Irlande, en particulier en raison d'une trop grande rigidité de fonctionnement et de raisonnement ; on trouve ainsi dans les écrits des spécialistes du XXe siècle des phrases soulignant le fossé séparant aujourd'hui la danse de concours et la musique traditionnelle irlandaise :

Un tempo de danse strict ne signifie pas jouer exactement dans le temps (...). C'est le tempo qu'une commission de juges a décidé d'agréer comme le tempo adéquat pour la danse considérée. Les danseurs sortis des écoles se trouvent souvent en difficulté lorsqu'ils sont confrontés à des musiciens inapprivoisés. note 56
L'une des principales critiques à l'égard du Comhaltas Ceoltóirí Éireann tient donc à la façon dont sont dispensés les cours et les connaissances musicales. Nous avons déjà vu que l'enseignement de la danse en groupe est une invention relativement récente au sein de la musique irlandaise. C'est pourtant de cette manière qu'elle est diffusée, grâce aux nombreuses compétitions organisées dans toute l'île. De ce fait, les membres du Comhaltas Ceoltóirí Éireann apparaissent tout à la fois comme les instigateurs d'un renouveau, comme les acteurs de ce renouveau, et comme les seuls juges de la qualité et de la validité de toute musique revendiquant une identité irlandaise note 57. Une telle hégémonie déplaît donc fortement aux tenants d'une musique traditionnelle libre de ses mouvements et de ses évolutions. De plus, si l'association prêche un strict apolitisme et une indépendance religieuse totale, certains de ses membres (et non des moindres) se présentant à des élections furent officiellement soutenus par l'organisation, à grands renforts de publicités dans les colonnes du journal Treoir note 58. C'est donc cette contradiction manifeste entre les buts affichés et les tendances réelles qui semble expliquer aujourd'hui la constante désaffection des jeunes musiciens et danseurs dès lors qu'ils parviennent à l'âge adulte, outre bien entendu leur entrée dans le monde du travail.

Ces quelques réserves faites, il faut reconnaître le rôle éminemment positif joué par les multiples actions de Comhaltas Ceoltóirí Éireann dans le renouveau de la musique traditionnelle irlandaise au XXe siècle, à une époque où celle-ci n'avait pas encore regagné la popularité qu'elle connaît aujourd'hui et ne bénéficiait pas encore des effets de mode à intervalles réguliers, si favorables aux musiques celtiques.

C'est en partie en raison de divergences avec le Comhaltas Ceoltóirí Éireann que fut fondé (ou plus exactement refondé) Na Píobairí Uilleann (c'est-à-dire le 'Club des Joueurs de Cornemuse Irlandaise') le 26 octobre 1968 grâce à Breandán Breathnach et à Séamus MacMathúna. Cinq buts furent fixés concernant cet instrument : promouvoir et encourager sa pratique, collecter et préserver ses mélodies spécifiques, réunir toutes les informations le concernant, effectuer et publier des recherches, et enfin encourager les luthiers de uilleann pipes. L'activité essentielle consiste donc à publier des périodiques (An Píobaire, Ceol na hÉireann - Irish Music), des enregistrements, ainsi que des ouvrages d'étude de la musique traditionnelle irlandaise. Na Píobairí Uilleann organise en outre de nombreux cours et stages, un rassemblement (Tionól) et un grand concert annuels de uilleann pipes en septembre au National Concert Hall. Elle est bien évidemment présente dans toutes les manifestations où le uilleann pipes est en vedette, organisant ou co-organisant la Willie Clancy Summer School, la South Sligo Summer School et la Joe Mooney Summer School. Petite association très dynamique, elle regroupe aujourd'hui plus de 700 joueurs de uilleann pipes en Irlande et à l'étranger, la branche allemande semblant très active.

Nous citerons enfin, parmi les associations d'importance, l'Irish Traditional Music Archive qui, depuis 1987, s'est lancée dans un vaste programme de collectage et de reconquête de la culture musicale irlandaise, avec à sa tête le discret mais efficace Nicholas Carolan. L'une des grandes originalités de ces archives ouvertes au public depuis 1991 est d'avoir été créées par le Arts Council de la République d'Irlande (le " Conseil des Arts ", sorte d'Académie des Arts et Lettres) et d'être soutenue par le Arts Council of Northern Ireland. Le fonds est essentiellement constitué par la collection privée de Breandán Breathnach, l'un des grands spécialistes du XXe siècle en matière de musique traditionnelle irlandaise, décédé en 1985, collection à laquelle s'ajoutent toutes les publications concernant de près ou de loin la musique traditionnelle irlandaise. L'ensemble situé dans le centre de Dublin comprend une énorme collection de photographies, livres et périodiques, films et vidéos, accessible à tous les passionnés ; la section principale incluant les " enregistrements " est en plein essor et comporte autant d'airs et de mélodies que les recherches actuelles en ont révélé, ainsi que toutes les variantes collectées de chacun d'entre eux. L'ensemble de ces données est catalogué sur ordinateur, facilitant énormément le travail de recherche sérieux qui ne fait que commencer en matière de musique traditionnelle irlandaise. Enfin, les Archives publient des études et réimpriment des ouvrages oubliés, essentiellement grâce à Nicholas Carolan.

Bien entendu, un certain nombre d'organisations plus officielles jouent un rôle important dans le soutien au monde musical irlandais, et nous étudierons plus en détail ce thème des relations entre la musique et la politique.

- L'industrie phonographique note 59

Comme nous l'avons dit (voir page 246), les tout premiers enregistrements de musique traditionnelle irlandaise n'ont pas été effectués en Irlande, mais aux Etats-Unis et en Angleterre, car le premier studio dublinois ne vit le jour qu'en 1937. On sait que la compagnie G & T enregistra à la fin du XIXe siècle un joueur de uilleann pipes à Londres et que quelques autres furent enregistrés en Irlande, mais il fallut attendre l'essor de l'industrie phonographique américaine pour voir les (futures) grandes compagnies tenter de conquérir l'énorme marché des immigrants, qu'ils soient italiens, français ou irlandais. Le uilleann piper Patsy Touhey fut le premier musicien irlandais aux Etats-Unis à comprendre l'avenir des enregistrements et il acheta même une " machine à enregistrer " Edison vers 1900. Celle-ci n'enregistrait malheureusement que sur des cylindres et la valeur des rares enregistrements ayant survécu est plus historique que sonore. Les premiers 78t apparurent au début du XXe siècle sous les premiers labels nommés Columbia, Edison et Victor, relayés dans les années dix-neuf cent vingt par Brunswick, Cameo, Celtic (ou Keltic), Decca, Emerald, Gaelic, Gennet, Lincoln, New Republic, O'Byrne-De Witt, Okeh, Pathé, Shannon, Vocalion. Bientôt, il ne resta que trois grandes compagnies : Parlophone, H.M.V. et Columbia, réunissant la plupart des musiciens irlandais ayant une audience importante. C'est de cette époque que datent les enregistrements historiques des fiddlers James Morrison et Michael Coleman, pour ne citer que les deux principaux. L'impact des nouvelles technologies sur la musique traditionnelle irlandaise fut énorme : des dizaines de musiciens en Irlande purent tout à coup écouter Michael Coleman ou James Morrison, Patsy Touhey ou Paddy Killoran. Pour la première fois, ils pouvaient étudier de près et apprendre chez eux les techniques d'un maître sans le rencontrer ; très rapidement ceux-ci furent copiés et les styles régionaux commencèrent à disparaître, cédant peu à peu la place à une uniformisation des styles que certains regrettent parfois.

En Irlande, les principaux efforts en matière de publication phonographique furent longtemps à mettre au seul crédit de Comhaltas Ceoltóirí Éireann et de l'organisation gouvernementale Gael-Linn, fondée en 1953, et qui fit faire son entrée dans le monde du microsillon à la musique traditionnelle irlandaise. Bien que le but de Gael-Linn soit d'aider tous les gaélophones dans leur vie quotidienne et de promouvoir tout ce qui touche à la culture gaélique, sa plus grande réussite est sans conteste sa filiale discographique, ainsi que ses festivals de musique appelés Slógadh, destinés à repérer les jeunes talents. Nous retiendrons également, parmi les premiers éditeurs de musiques celtiques, les disques Topic en Angleterre, petit label indépendant né d'une volonté militante de sauvegarder la culture populaire et, aux Etats-Unis, les disques Folkways, ainsi que l'incontournable Library of Congress américaine, déjà citée (voir page 266).

Aujourd'hui, outre les multinationales ayant pignon sur rue à Dublin, une multitude d'éditeurs discographiques indépendants se concentrent sur la musique traditionnelle irlandaise : C.B.M., Claddagh, Cló Iar-Chonnachta, Dara, Dolphin, G.T.D., Homespun, Hummingbird, Ossian, Outlet, Tara, Triskel, plus récemment Celtic Heartbeat. L'arrivée sur le marché irlandais de nouveaux labels est d'ailleurs, de ce point de vue, parfaitement représentative de la bonne santé actuelle de la musique traditionnelle irlandaise, tant du point de vue de ses acteurs (les musiciens) que du point de vue de ses auditeurs (le marché).

Ajoutons à cette liste irlandaise les principaux éditeurs américains que sont Green Linnet, Rounder et Shanachie, produisant et distribuant essentiellement du folk celtique. On pourra bien évidemment retrouver de nombreux artistes irlandais sur des labels tels que Cara, Nimbus, Globestyle, Saydisc ou Real World en Angleterre, Ocora ou Arfolk en France, Wundertüte en Allemagne... et bien d'autres encore.

En ce qui concerne le second aspect de l'industrie du disque, les studios irlandais furent longtemps peu nombreux et relativement discrets. Les meilleurs d'entre eux ont désormais acquis une solide réputation internationale, par exemple Windmill Lane Studios, généralement spécialisés dans le rock, mais qui sont également fréquentés par les musiciens traditionnels (voir page 247).

Comme nous avons pu le voir, quelques associations citées dans les parties précédentes se transformèrent en éditeurs d'enregistrements, afin de pallier le manque d'intérêt des grandes compagnies pour la musique traditionnelle irlandaise. Il est en effet notoire que ces dernières ont de plus en plus tendance à ne se préoccuper que des seules musiques présentant un intérêt commercial certain, à une période où la publication d'un disque à grande échelle peut présenter quelques risques de pertes financières. Ainsi, l'avènement du disque-compact fut-il accompagné d'une réédition massive des succès des décennies précédentes, laissant proportionnellement moins de place aux musiques du moment. Deux périodes cependant bénéficièrent aux musiques celtiques : les années soixante-dix, et les années quatre-vingt dix, soit immédiatement avant et après l'avènement du disque-compact.

Portées par le premier de ces deux mouvements, quelques compagnies de disques naquirent cependant, prenant commercialement le relais des pionnières. Depuis l'introduction des techniques d'enregistrement à la fin du XIXe siècle, de nombreuses compagnies de disques, en particulier aux Etats-Unis, avaient en effet pressenti l'intérêt économique d'un tel marché. Sans parler de véritable collectage systématique, les mélodies 'mises en boîte' durant la première moitié du XXe siècle sont extrêmement nombreuses et nous permettent pour la première fois dans l'Histoire de juger objectivement de l'évolution naturelle suivie par la musique traditionnelle irlandaise en Irlande, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Inutile de rappeler de manière trop exhaustive ici le recul dont les musiciens du XXe siècle sont les premiers à bénéficier : il va de soi que les musiciens du XIXe siècle n'avaient aucune idée des techniques mélodiques et instrumentales de leurs prédécesseurs ; il est même vraisemblable que cela n'avait pas la moindre importance pour eux. Aujourd'hui, la plupart des musiciens traditionnels professionnels connaissent parfaitement les enregistrements du uilleann piper Patsy Touhey ou du fiddler Michael Coleman.

- Les médias

Nous l'avons vu, les collecteurs des XVIIe et XVIIIe siècles avaient souvent eu l'occasion de publier le résultat de leurs recherches dans divers périodiques, mais il fallut attendre l'introduction de la radio en Irlande, le 1er janvier 1926, pour voir les travaux de collectage enregistrés commencer à faire leur apparition, tant en Irlande qu'aux Etats-Unis ou dans tous les pays ayant accueilli la diaspora irlandaise. Les collectes plus organisées, effectuées en prévision de diffusions radiophoniques, ne virent cependant le jour qu'à la fin de la seconde guerre mondiale.

Ce développement massif des enregistrements et leur diffusion eut rapidement pour conséquence leur utilisation sur les premières chaînes de radio et de télévision aux Etats-Unis, puis en Irlande. Pour des raisons strictement économiques, ces enregistrements remplacèrent de plus en plus souvent les musiciens jouant autrefois en direct. Cela devint également l'un des principaux moyens de promotion d'un produit musical essentiellement destiné à la consommation directe. L'aboutissement de cette tendance fut la naissance, dans les années cinquante aux Etats-Unis, du métier de disc-jockey.

Les émissions de musique traditionnelle irlandaise à la radio connurent leur véritable essor dans les années dix-neuf cent cinquante avec A Job of Journeywork et Ceolta Tíre de Ciarán MacMathúna sur Radió Éireann (qui devint plus tard RTÉ, Radió Téléfis Éireann, la Radio Télévision Irlandaise), et As I Roved Out de Séamus Ennis à la B.B.C.. On constatera cependant que les motifs de mécontentement semblaient nombreux, comme en témoignent ces quelques lignes de Breandán Breathnach, en 1963 :

Il n'est pas exagéré de dire que les gens intéressés par la musique irlandaise sont fortement déçus par Telefís Éireann. Lorsque nous parlons des gens intéressés par la musique irlandaise, nous ne faisons pas référence à un petit groupe de personnes dont le goût diffère profondément de celui du grand public. note 60
Il eut lui-même l'occasion de mettre ses idées en pratique quelques années plus tard, ainsi que Seán Ó Riada (avec Our Musical Heritage), puis Tomás Ó Canainn, Jackie Small, Nicholas Carolan, Harry Bradshaw, pour ne citer que les principaux.

Dans les années dix-neuf cent quatre-vingt, Radio 1 (de RTÉ) a accueilli d'excellentes émissions telles que Aisling Gheal, The Long Note (présentée par de nombreux animateurs dont Tony McMahon, Paddy Glackin et Philip King), An Droichead Beo (c'est-à-dire " le pont vivant ", titre très révélateur de Philip King), et dans les années quatre-vingt dix Failte Isteach, Sounds Traditional de Áine Hensey et Céilí House de Peter Browne ; mais la plus longue contribution radiophonique de ces dernières décennies reste celle de Ciarán MacMathúna et de son émission hebdomadaire du dimanche matin, Mó Cheol Thú. La première radio de RTÉ (Radio 1) étant diffusée sur le satellite Astra, ces émissions peuvent être entendues par la diaspora irlandaise en Europe. La radio du Gaeltacht, Radió na Gaeltachta, propose une émission hebdomadaire, Sessions, ainsi que de nombreuses émissions agrémentées de musique traditionnelle, et possède également un fonds d'enregistrements très riche. Quelques radios dublinoises s'intéressent également à la musique traditionnelle irlandaise de manière régulière, dont Raidió Na Life (An Port Ard, Rogha Ceol et An Gob Fliuch) et Anna Livia F.M.

Aux Etats-Unis enfin, Fiona Ritchie propose depuis de nombreuses années un panorama hebdomadaire des musiques celtiques très apprécié des auditeurs du réseau N.P.R. (les radios nationales américaines) : The Thistle and the Shamrock.

Développée essentiellement après la seconde guerre mondiale, la télévision n'arriva en Irlande que le 31 décembre 1961. Les émissions consacrées à la musique traditionnelle irlandaise sont ici beaucoup moins nombreuses. Outre les émissions régulières telles que The Pure Drop, petit bijou présenté au fil des années par de nombreux musiciens renommés, une autre forme d'étude de la musique traditionnelle irlandaise est apparue avec la multiplication de séries télévisées extrêmement intéressantes telles que Come West Along the Road (présentée par Nicholas Carolan), Bringing It All Back Home, produite par Philip King et Donal Lunny, ou A River of Sound de Philip King et Mícheál Ó Súilleabháin. La première nommée est une série basée sur des archives télévisuelles, la deuxième cherche à interpréter " le voyage, l'influence et le développement de la musique irlandaise " (essentiellement aux Etats-Unis) note 61, et la dernière tente d'apporter quelques explications plus poussées sur le passé, le présent et l'avenir de la musique traditionnelle irlandaise, ainsi que sur son adaptation au XXe siècle. Enfin, la création à la fin de 1996 d'une chaîne de télévision en gaélique pourrait favoriser la production d'émissions concernant la musique traditionnelle irlandaise.

Jusqu'au début des années dix-neuf cent quatre-vingt-dix, tous les enregistrements audio et vidéo mentionnés plus haut n'étaient malheureusement pas accessibles au grand public, et restaient encore difficiles d'accès pour les chercheurs. L'Irish Traditional Music Archive de Dublin a, depuis 1991, pris le parti de réunir l'ensemble des collectages déjà effectués par tous les passionnés, anonymes ou célèbres, ainsi que l'ensemble de la production discographique irlandaise et irlando-américaine.

Une dernière remarque concernant la musique en Irlande s'impose : peu de revues véritablement spécialisées sont disponibles en kiosques. Petite dernière, la revue Irish Music a vu le jour en août 1995 et semble vouloir concilier toutes les approches de la musique traditionnelle irlandaise et tous les courants qui la composent. Hot Press, bimensuel politico-musical de l'Irlande jeune et frondeuse, mérite une mention particulière, puisqu'il est le seul magazine musical comparable aux innombrables périodiques musicaux britanniques ou américains - tels que le New Musical Express ou Rolling Stone - traitant de musique traditionnelle. Abordant autant les problèmes de société ou de politique que de musique, Hot Press ne se limite pas, loin s'en faut, à la musique traditionnelle irlandaise, mais reste souvent le seul lien entre celle-ci et les jeunes Irlandais. Si elle fut longtemps absente de ses colonnes, les articles qui lui sont consacrés se multiplient de manière fort révélatrice depuis deux ou trois ans, illustrant la réappropriation de cette musique par les jeunes Irlandais urbains, dont Hot Press est à coup sûr l'un des principaux porte-parole, ainsi que la percée de la musique traditionnelle irlandaise à l'extérieur des frontières de l'île. Dans la presse quotidienne généraliste, Bill Meek (aujourd'hui remplacé par Nuala O'Connor et Fintan Vallely) publia une chronique régulière dans le Irish Times tandis que Tony O'Brien a pris la relève de Willie Dillon au Irish Independent. Ces divers éléments attestent du nouveau destin de la musique traditionnelle irlandaise, devenue simple produit de consommation et en tout point comparable, dans cette optique, à la musique pop-rock. C'est le magazine Hot Press qui mène depuis 1993 une vigoureuse campagne afin de favoriser le développement de l'industrie musicale en Irlande, dernier élément en date dans la longue histoire des relations entre la musique et les instances gouvernementales successives.

- Musique et politique

Comme nous y avons fait allusion dans la première partie de cette étude, la musique traditionnelle fut longtemps considérée avec moins d'égards que les autres éléments de la culture par les différents gouvernements de la République : la première subvention à l'Irish Folklore Society ne fut octroyée qu'en 1930 par le gouvernement Fianna Fáil et, dans l'ensemble, la musique ne semblait guère attirer les regards des responsables du pays note 62. Héritiers du XIXe siècle, les politiciens utilisèrent bientôt la musique traditionnelle irlandaise à des fins d'expression nationale, bannissant toute idée de brassage musical et recherchant dans le passé la pureté musicale qui, seule, pouvait traduire ce qu'il était convenu d'appeler 'L'Esprit Irlandais'. Il en résulta bien évidemment un isolement total de la population irlandaise :
Le parti (...) allait ériger de nouvelles barrières autour de 'notre peuple' qui, dorénavant, serait protégé, industriellement par des taxes, culturellement par la censure, et moralement par l'interdiction du divorce, de la contraception et des bals en plein air (crossroads dancing). note 63
L'Irlande ne prit véritablement la mesure de l'enjeu culturel qu'avec la fondation du Arts Council (ou Chomhairle Ealaíon), organisation subventionnée par l'Etat, créée en 1951 (comme le Comhaltas Ceoltóirí Éireann) afin de promouvoir la connaissance et la pratique de tous les arts dans le grand public. Le gouvernement fit également publier en 1952 un petit opuscule sur la musique traditionnelle irlandaise, rédigé par le professeur Donal O'Sullivan de l'université de Trinity College, Dublin : une vision patriotique y perdurait et la musique traditionnelle irlandaise ne s'y voyait définie que comme élément homogène, représentatif de la vision irlandaise du monde, à l'exclusion de toutes les catégories hybrides, tant sur le plan de la forme (certaines ballades) que sur le fond (le jeu en groupe). note 64

Bien que le Comhaltas Ceoltóirí Éireann ait été formé un an avant la publication de cet opuscule, il fallut attendre 1968 pour voir la première subvention de l'Etat lui être attribuée. Dans le même temps, les universités commençaient à organiser des départements de musique où la musique traditionnelle irlandaise faisait partie des sujets de recherche. Ainsi, la Folklore of Ireland Society (née en 1926), devenue en 1930 le Irish Folklore Institute, puis en 1935 la Irish Folklore Commission, fut incluse en 1971 dans le département 'folklore' de l'Université de Dublin (University College Dublin) et l'aide du Ministère de l'Education permit en 1972 la mise en place de la National Archive of Folk Music. Depuis lors, des départements de musique se sont ouverts dans les universités de Cork et, plus récemment, de Limerick, et la musique traditionnelle irlandaise y figure en bonne place.

Autre action de l'Etat en faveur des artistes, la section 2 du Finance Act promulgué par le gouvernement Fianna Fáil de Charles Haughey en 1969, mise à jour par la section 14 du Finance Act de 1994 sous l'égide du Arts Council et du Ministère des Arts, de la Culture et du Gaeltacht : c'est la célèbre Artists Exemption. Grâce à celle-ci, les artistes de toutes nationalités résidant en Irlande peuvent profiter d'une exemption totale de l'impôt sur le revenu provenant de leurs oeuvres, à condition que celle-ci soient reconnues comme originales, créatives et dotées d'un mérite culturel ou artistique dans l'une des cinq catégories proposées : les musiciens sont classés dans la section (c), 'une composition musicale'. Il est communément admis en Irlande que la grande majorité des artistes bénéficiant de ces dispositions sont des écrivains, mais il semble parfaitement impossible d'établir de façon irréfutable un tel état de fait note 65.

Dans les années soixante-dix, et à la suite de la formidable explosion de la musique traditionnelle irlandaise, on vit apparaître un certain regain d'intérêt pour celle-ci dans les milieux gouvernementaux, et le célèbre fiddler Paddy Glackin (ex-Bothy Band) fut même nommé Music Officer for Traditional Music auprès du Arts Council en 1980. Il a depuis été remplacé par Dermot McLoughlin, et la fonction s'est étendue jusqu'à inclure également la musique classique et le jazz. L'Irlande et sa classe politique semblent avoir été bien longues à saisir les enjeux de la scène musicale irlandaise. Ciarán Benson, Professeur de Psychologie à University College Dublin et actuel président du Arts Council (nommé par le Ministre de la Culture Michael D. Higgins en 1993), est le premier à le reconnaître :

Il est indéniable que le domaine de la musique tel qu'il était entendu par le Conseil des Arts ne comprenait pas la musique traditionnelle, et cela jusqu'à la fin des années soixante-dix. Et ce n'est qu'à la fin des années quatre-vingt qu'il a compris la musique populaire. Maintenant nous visons le jazz (...). Mais n'oublions pas que le conseil des Arts n'est qu'un élément du soutien de l'Etat. J'aimerais beaucoup voir les autorités locales intervenir plus énergiquement à cet égard. note 66
Le Arts Council, subventionné par les impôts sur le revenu et par les recettes émanant des loteries nationales, semble maintenant avoir les faveurs de l'Etat car son budget est passé de £13,30 millions en 1994 à £16,25 millions en 1995, soit une augmentation de 22% en un an, bien que les besoins aient été évalués à environ £20 millions note 67. Seuls les festivals, ainsi que les activités liées à la danse, ont vu leurs subventions baisser depuis 1986 note 68. Il est également réconfortant de constater que 60% des Irlandais considèrent comme nécessaire le soutien aux différents domaines artistiques, y compris dans une période de crise telle que celle que nous traversons actuellement. Deux petits points noirs cependant : un effort important reste à faire en matière d'éducation artistique, en particulier sur le plan scolaire, bien qu'une telle intervention paraisse difficile étant donné le peu d'influence du Arts Council sur les programmes scolaires et sur les instances éducatives en général. En outre, il semble que les politiques menées jusqu'à une période récente aient favorisé un soutien plus important en direction des professionnels des disciplines artistiques au détriment du monde des amateurs, moins visible mais omniprésent, et vital pour l'avenir.

En ce qui concerne les milieux musicaux professionnels irlandais, l'une des idées les plus répandues à l'heure actuelle consiste à considérer la musique en Irlande comme l'une des principales industries de l'île, tant les groupes célèbres de musique pop-rock qui en sont originaires sont nombreux. L'organisation Music Network fut ainsi fondée en 1986 par le Arts Council afin de développer, plus particulièrement hors de Dublin, l'accès à toutes les musiques. Music Network constitue aujourd'hui une entité indépendante et promeut les artistes irlandais contemporains en encourageant les initiatives locales. Pour sa part, la musique dite 'populaire' (c'est-à-dire essentiellement le pop-rock) s'est vu attribuer en septembre 1992 une organisation qui lui est entièrement consacrée, nommée Music Base, et qui joue le rôle précédemment rempli par le représentant officiel du Arts Council (Keith Donald, ex-Moving Hearts) dans les années quatre-vingt. C'est ainsi qu'est née en Irlande, sous l'impulsion de Eoin Holmes, l'idée d'une campagne visant à intensifier l'aide et le soutien de l'Etat à la musique, relayée par certains médias tel que le journal Hot Press. Cette campagne est tout simplement intitulée Jobs in Music :

 Il ne fait absolument aucun doute que des emplois supplémentaires et des richesses peuvent être créés dans le domaine de la musique en Irlande. Au risque de nous répéter, la musique est l'une des grandes ressources naturelles de ce pays. L'Afrique du Sud a ses diamants, le Moyen Orient son pétrole, la France sa cuisine - nous avons notre musique (...). De grandes choses ont été accomplies sans la moindre stratégie gouvernementale. Il reste encore beaucoup à faire. note 69
Incluse dans cette vaste conquête du marché mondial, la musique traditionnelle irlandaise se verrait hissée au rang de produit commercial, le but restant essentiellement, et dans tous les cas, de développer l'image d'une Irlande culturelle fidèle à sa grande tradition de " l'Irlande, pépinières d'artistes ". Le second objectif, avoué de plus en plus ouvertement par les acteurs de la scène culturelle irlandaise, est d'améliorer sensiblement la balance commerciale :
Un deuxième problème et une nouvelle tendance de la politique culturelle, récemment identifié comme apport au courant principal et résultant des évolutions en matières économiques au sein des pays industrialisés, a été défini comme la politique culturelle 'de contribution' (...). Ceci implique de tirer profit de projets et d'investissements culturels afin d'atteindre des buts dans des domaines autres que culturels. De tels buts peuvent concerner l'investissement et le profit, le développement du tourisme, la création d'emplois, ou la rénovation urbaine, et leur contribution réside dans la présentation d'une culture ou d'un projet culturel considéré comme un moyen et non comme une fin en soi. note 70
Ce qui, reformulé par le président du Arts Council dans la presse musicale devient plus simplement :
La fonction du Conseil des Arts est de créer les conditions pour que l'argent arrive en plus grande quantité, autant pour l'artiste que pour la communauté artistique. Et, pour en revenir aux origines du Conseil des Arts en Irlande, il faut que, lorsque cet argent arrive, il soit libre de toute interférence gouvernementale. note 71
On retrouve sensiblement le même raisonnement réceptif aux arguments économiques lorsque surgit le problème des droits d'auteur, mettant en relief une nette opposition de point de vue entre le monde de la musique pop-rock et celui de la musique traditionnelle. Ce thème, beaucoup plus important qu'il n'y paraît, sera abordé plus en détail dans notre dernière partie.
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Nous l'avons vu lors de notre étude historique, et le fait s'est clairement confirmé dans cette étude sociale : nul ne saurait considérer sérieusement les éléments constitutifs de la musique traditionnelle irlandaise (ou de toute autre musique) comme immuables, éternels et inaltérables. Ouverte sur le monde qui l'entoure, elle saisit au vol les influences les plus diverses, les instruments qui lui conviennent ou les thèmes qui lui plaisent. Mais, tout autant, elle essaime et disperse, offrant au monde entier sa force et sa vitalité.

Convenons donc avec George Russell que cette synthèse perpétuellement provisoire nommée musique traditionnelle irlandaise n'a pu prospérer, comme tout élément culturel, que grâce à un esprit de complète reconnaissance des influences extérieures, quelle que soit l'époque :

Nous souhaitons que l'esprit irlandais se développe autant qu'il en est capable, et nous avons toujours cru que la population actuelle de l'Irlande, une nouvelle ethnie composée d'apports gaéliques, scandinaves, normands et saxons, possède des capacités intellectuelles infiniment plus grandes que l'ancienne ethnie qui existait avant la venue de l'étranger. L'union d'ethnies a produit une mentalité plus complexe. Nous ne pouvons pas plus nous débarrasser de ces nouveaux éléments dans notre sang et notre culture que nous ne pouvons nous débarrasser du sang gaélique. note 72
Cette reconnaissance était fâcheusement absente de l'esprit des premiers militants et il fallut attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour assister à une inversion de cette tendance introvertie. Car, nous espérons l'avoir démontré, la scène musicale irlandaise a profondément évolué au cours des cinquante dernières années. Considérée au sortir de la seconde guerre mondiale comme l'un des parents pauvres de la culture officielle, reléguée au rang des accessoires nostalgiques chez les émigrés, guère pratiquée dans les écoles et à la maison, elle se retrouve considérée, moins de cinquante ans plus tard, comme l'un des symboles de l'Irlande, tant dans le cadre de l'île qu'au-delà de ses frontières et, par conséquent comme l'un des chevaux d'une bataille économico-culturelle se déroulant sous nos yeux incrédules.

Comment croire, dans ces conditions, que les multiples séismes qu'a connu ce monde bouillonnant de la musique traditionnelle irlandaise au cours des trente dernières années aient pu se produire sans générer de profondes réflexions sur l'entité propre de l'Irlande ? De façon beaucoup plus globale, comment imaginer que de tels bouleversements aient pu se produire sans que surgissent les questions fondamentales de l'existence humaine liées aux interactions, voire aux tensions et oppositions, entre les concepts de tradition et de modernité ? Le dernier chapitre de notre étude sera ainsi pour nous  l'occasion d'établir quelles forces contradictoires fondent l'identité de la musique irlandaise et, davantage encore, de saisir à quel point la musique traditionnelle est devenue plus largement un élément incontournable d'une identité irlandaise s'élaborant sous nos yeux.


40 On pourra ici se référer à l'ouvrage de Gerard GILLEN & Harry WHITE (dirs.), Music and the Church (Irish Musical Studies N°2), Dublin, Irish Academic Press, 1992, 354 p.

41 Christian-Jacques GUYONVARC'H, Textes Mythologiques Irlandais, op. cit., 1980 (2e édition), § 161, p. 58.

42 Voir notre partie sur 'La musique chantée' dans le premier chapitre de cette étude.

43 On trouvera une étude de ce phénomène et quelques exemples tirées d'autobiographies dans l'ouvrage de Pat MURPHY, Toss the Feathers - Irish Set Dancing, The Mercier Press, Cork, 1995, pp. 33-38.

44 " To many, dancing appears to be a frivolous waste of time and energy, while others regard it merely as an exhibition of tolerated childishness. To the straight-laced and puritanical, its practice is demoralizing and it was this attitude which worked such a radical change in the social customs of Ireland in the last half of the nineteenth century. (...) Such pastimes never interfered with religious devotions, for before the reformation only the hours for divine service were held sacred, and the rest of the day 'could be spent in sports if people so chose (...)' ". Francis O'NEILL, Irish Minstrels and Musicians, op. cit., 1987 (1ère édition 1913), chapitre XXVIII, 'Dancing, a legitimate amusement', pp. 417-420.

45 " These latter days have witnessed, among many other unpleasant sights, a loosening of the bonds of parental authority, a disregard for the discipline of the home, and a general impatience under restraint that drives youth to neglect the sacred claims of authority and follow its own capricious way. (...) The evil one is ever setting his snares for unwary feet. At the moment, his traps for the innocent are chiefly the dance-hall, the bad book, the indecent paper, the motion picture, the immodest fashion in female dress - all of which tend to destroy the virtues characteristic of our race ". Cité par Terence BROWN, Ireland, a Social and Cultural History, op. cit., 1985, p.40.

46 Voir Flann O'BRIEN, " The Dance Halls ", The Bell, Vol 1, N° 5, février 1941, pp. 44-52, pour une évocation des Dance-Halls en Irlande dans les années quarante sur un ton... digne de l'auteur. Voir également l'étude de Valerie Ann AUSTIN, Influences on the Decline of Indigenous Irish Music in the XXth Century : the Dance Halls Act of 1935, University of Florida, M. Mus., déc. 1993.

47 Constitution du Concile Vatican II, articles 36, 40 et 54.

48 Francis O'Neill, en 1910, analyse leur rôle dans les trente-trois pages des chapitres XII et XIII de Irish Folk Music, puis en 1913 dans les vingt-quatre pages du chapitre XIV de Irish Minstrels and Musicians ; en 1952, Donal O'Sullivan leur consacre vingt-deux des soixante-six pages de Irish Folk Music, Song and Dance ; en 1971, Breandán Breathnach les répertorie dans les seize pages du chapitre neuf de Folk Music and Dances of Ireland ; en 1978, Tomás Ó Canainn leur consacre également seize pages et un chapitre dans Traditional Music in Ireland.

49 William SHAKESPEARE, Henry V, Acte IV, Scène 4 .

50 Voir à ce propos l'explication de Breandán BREATHNACH, Folk Music and Dances of Ireland, op. cit. (1977, 1ère éd. 1971), p. 18. On pourra également consulter, pour l'ensemble des références à la musique traditionnelle irlandaise dans Shakespeare les explications de W. H. GRATTAN FLOOD, A History of Irish Music, op. cit., 1927 (1ère éd. 1904), chapitre XII.

51 Voir Brian BOYDELL, " Music in Eighteenth Century Dublin ", Four Centuries of Music in Ireland, Londres, BBC Books, 1979, pp. 28-38.

52 Pour une liste plus exhaustive, bien qu'aujourd'hui considéré comme approximative, des collecteurs et de leurs ouvrages, voir W. H. GRATTAN FLOOD, A History of Irish Music, op. cit., 1927 (1ère éd. 1904), appendice A.

53 Voir à ce propos Seán Ó TUAMA (dir), The Gaelic League Idea, Cork, The Mercier Press, 1972, 109 p.

54 Voir Terence BROWN, Ireland, a Social and Cultural History, op. cit., 1985, pp. 53-55 et Brigitte SECQUEVILLE, The Survival of Irish Traditional Music, Reims, mémoire de Maîtrise, 1982, pp. 22-25.

55 On trouve à l'heure actuelle un site américain consacré au Comhaltas Ceoltóirí Éireann sur Internet en : http://www.albany.net/~vnicotin/comhalt.html.

56 " Strict dance tempo is not playing strictly on time (...). It is the tempo which some body of adjudicators had decided to be the appropriate one for the particular tune in question. Pupils from the school frequently find themselves in difficulty when confronted with music played by untamed musicians ". Breandán BREATHNACH, Dancing in Ireland, op. cit., 1983, p. 52.

57 Nous ne pouvons passer sous silence la réflexion offerte par un juré à l'annonce des résultats d'une compétition du Fleadh Cheoil de 1994 (Clonmel, lilting, over-eighteens). Alors que nous nous interrogions sincèrement sur le barème utilisé, il justifia la victoire discutable d'une candidate en s'exclamant, à bout d'arguments, " Ah ! But she's been competing so long, you know... ".

58 Voir Treoir, Vol. 25 N°1, 1993, p. 2 de couverture, pour le franc soutien du Comhaltas Ceoltóirí Éireann à Labhrás Ó Murchú (rédacteur en chef du journal et directeur général du Comhaltas Ceoltóirí Éireann) lors des élections sénatoriales. La tentative fut un échec.

59 Voir les annexes pour la liste des compagnies de disques et leurs coordonnées.

60 " It is no exaggeration to say that the people interested in Irish Music are bitterly disappointed with Telefís Éireann. When we say people interested in Irish Music, we are not referring to a small group of people with a taste very different from that of the general public ". Breandán BREATHNACH, Ceol - A Journal of Irish Music, 1965, vol. 2, N°1, p. 3.

61 " The journey, influence and development of Irish music ", in Nuala O'CONNOR, Bringing It All Back Home, op. cit., 176 p. 5.

62 Voir Terence BROWN, Ireland, a Social and Cultural History, op. cit., 1985, p. 147.

63 " The Party [Fianna Fáil] (...) was to erect new barriers around 'our people' who, from now on, would be protected, industrially by tariffs, culturally by censorship and morally by prohibitions on divorce, contraception and crossroads dancing ". Dick WALSH, The Party, Inside Fianna Fáil, Dublin, Gill & Macmillan, 1986, p. 46.

64 Voir Donal O'SULLIVAN, Irish Folk Music Song and Dance, Cork, Cultural Relations Committee of Ireland - The Mercier Press, 1969 (1ère éd. 1952), 62 p.

65 Malgré nos contacts poussés auprès des Revenue Commissioners, il nous a été impossible de nous procurer les informations précises concernant le pourcentage de musiciens bénéficiant de cette fameuse loi, le sujet des impôts restant naturellement secret, en Irlande comme ailleurs.

66 " It certainly is true that the area of music as understood by the Arts Council didn't include the traditional music until the late 1970's. And it was not until the late 1980's that it included popular music. And now we're targeting jazz (...). But let's not forget that the Arts Council is only one element of State support. I would love to see local authorities coming in strongly in this respect ". Ciarán BENSON, interview par Joe Jackson, Hot Press, 1er Novembre 1995, Vol. 19, N°21 p. 15. Remarquons qu'un réseau de Arts Officers nommés par les autorités locales est en train de se mettre en place depuis 1985, date de la première nomination par le Clare Co. Council (équivalent du Conseil Général en France) ; une vingtaine d'entre eux sont aujourd'hui en exercice.

67 Ibid. p.15.

68 COLLECTIF, The Public and the Arts - A Survey in Behaviour and Attitudes in Ireland, op. cit., 1994, p. 10.

69 " There is absolutely no doubt that additional wealth, and jobs, can be created in the music industry in Ireland (...). At the risk of being repetitious, music is one of this country's greatest natural resources. South Africa has its diamonds, the Middle-East its oil, France its food - we have our music. (...) Irish bands, songwriters and artists have proven that they - that we - are very good at this thing. Without any kind of government strategy an enormous amount has been achieved. Much more can be ". Niall CRUMLISH, " Industry Special : Irish Music - The Blueprint ", Hot Press, Vol. 17, N° 16, 25 août 1993, p. 43. Ce sont, de façon étonnante, des termes similaires qu'employa George Martin pour l'Angleterre à l'occasion de la remise de son titre : " Martin, who co-founded AIR Studios in 1965, once said that the marriage between pop and classical elements in The Beatles' music contributed greatly to the breakdown of musical prejudice in the 1960's. Asked whether his knighthood would narrow the gap even further, he replied, 'Not really, but perhaps it will make people realise that the music business and the record industry in particular is a very good thing for this country' ", Mark CUNNINGHAM, " Due Reward for Hard Day's Knight " Pro Sound News Magazine, édition européenne, Vol. 11, N° 7, juillet 1996, p. 3. Rappelons que George Martin fut le cinquième Beatle, leur ingénieur du son tout au long de leur carrière.

70 " A second issue and a new strand in cultural policy which has recently been identified as a tributary to the mainstream and flowing from changes in the economic circumstances in developed countries has been defined as 'instrumental' cultural policy (...). This involves using cultural ventures and investments as a means to obtain goals in areas other than the cultural. Such goals can relate to the investment and profit, attracting tourism, creating employment, or urban renewal and their instrumental aspect lies in emphasising culture and cultural ventures as means rather than ends in themselves ". COLLECTIF, The Public and the Arts - A Survey in Behaviour and Attitudes in Ireland, op. cit., 1994, p. 12.

71 " The function of the Arts Council is to create the conditions for more money to come in, both for the artists and for the arts community. And going back to the origin of the Arts Council in Ireland, the point is that when this money comes in, it has to be free from Government interference ". Ciarán BENSON, Hot Press, 1er Novembre 1995, op. cit., p. 14.

72 " We wish the Irish mind to develop to the utmost of which it is capable, and we have always believed that the people now inhabiting Ireland, a new race made of Gael, Dane, Norman and Saxon, has infinitely greater intellectual possibilities in it than the old race which existed before the stranger came. The union of races has brought about a more complex mentality. We can no more get rid of these new elements in our blood and culture than we can get rid of the Gaelic blood ". George RUSSELL, Irish Stateman, 5 octobre 1929, p. 87, cité par Terence BROWN, Ireland, a Social and Cultural History, op. cit., 1985, p. 122.

 
 
 
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